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l’an 1852[1] ; mais en 1853 il s’est déprimé de manière à présenter une perte comparative de 3 à 4 pour 100[2].

Ces variations, inaperçues du public, mais suivies attentivement par une certaine classe de spéculateurs, suffisent pour expliquer ce que les Anglais appellent le drainage de l’argent. On dit qu’en ce moment des courtiers habiles dans le trafic des métaux précieux parcourent l’Europe pour le compte de quelques grandes maisons, et qu’ils font de bonnes affaires, notamment en Suède, en Norvège et dans les petits états de l’Italie. Où va donc tout cet argent qu’on soutire pour faire place à l’or californien ou australien ? Il va dans les pays où l’or est déjà démonétisé, comme en Hollande, ou menacé de démonétisation, comme en Belgique. On l’envoie en Orient et dans les nouvelles contrées aurifères, où on a besoin de petite monnaie blanche. Les États-Unis surtout viennent de lui offrir un débouché important en affaiblissant d’environ 7 pour 100 le poids des pièces d’argent. Pour donner une idée de la différence, supposons, en ces temps de famine, un négociant français faisant acheter à New-York des farines pour 1 million de dollars (environ 5,300,000 fr.), et obligé de payer en numéraire. S’il parvenait à retirer de la circulation française assez de pièces de 5 francs pour s’acquitter en argent, il gagnerait, sur le change seulement, 212,000 francs, indépendamment de ses bénéfices commerciaux.

En considérant ! que la production de l’or est à peu près quadruplée depuis cinq ans, il est assez naturel de se demander si nous ne sommes pas menacés d’un phénomène pareil à celui qui a causé tant d’étonnement et de trouble au XVIe siècle, l’avilissement du numéraire, manifesté par un enchérissement de toutes les marchandises. Que les démolitions, la mauvaise récolte, la maladie de la vigne, la multiplication des moteurs mécaniques soient pour beaucoup dans la cherté des logemens, des alimens, des boissons, du combustible et du fer, cela est incontestable ; mais qui oserait affirmer que l’affluence de l’or n’y est pour rien ? En supposant même que les valeurs commerciales n’eussent pas encore été influencées par les richesses métalliques exhumées depuis cinq ans, cela ne serait pas une garantie pour l’avenir.

  1. L’or se vendait à Londres 66 centimes pour 100 francs plus cher qu’en France ; c’est pourquoi le monnayage de ce métal a été dix fois moindre chez nous en 1852 que pendant l’année précédente.
  2. L’année dernière, ceux qui ont converti en pièces de vingt francs des lingots d’or auxquels la loi française attribuait une valeur supérieure de 3 pour 100 au prix commercial ont pu réaliser, sur un monnayage de 313 millions, un bénéfice de 9,390,000 fr. — A Paris, où la valeur de l’or monnayé est soutenue par le cours légal, le change de l’or contre l’argent ne se paie encore que 3 fr. par 1,000.