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bien tournés[1]. Mme de Sablé paraît aussi avoir été fort liée avec Monsieur, frère de Louis XIV, prince médiocre assurément, mais dont une triste politique se complut à cultiver les goûts frivoles, qui finirent par être honteux. Il n’était ni sans esprit ni sans courage, et si son frère l’eût bien voulu, il en aurait pu faire l’égal de bien des archiducs. Mme de Sablé, comme beaucoup d’autres dames, s’intéressa vivement et très innocemment au jeune et beau Philippe d’Orléans, et elle le poussa à se distinguer ; lui, de son côté, rechercha son estime et lui témoigna de la confiance et de l’amitié, comme on le voit par plusieurs lettres qu’il lui écrivit en diverses occasions[2], particulièrement dans la campagne de Flandre, où il fit preuve de bravoure et d’une certaine capacité militaire.

Mais, nous l’avouons, ce qui a le plus attiré notre attention, ce sont les lettres de femmes, plus confidentielles et plus intimes, qui font mieux pénétrer dans le cœur et les habitudes de la marquise, et montrent en même temps combien il y avait d’esprit et de goût pour l’esprit dans les grandes dames d’alors, soit qu’elles brillassent à la cour et dans les salons, soit qu’une piété précoce, ou de secrètes blessures ou la politique de leurs familles les eussent jetées dans des couvens. On peut partager en deux classes les amies de Mme de Sablé, les religieuses et les mondaines, et on ne sait trop en vérité auxquelles donner la préférence. Commençons par les religieuses.

Mme de Sablé avait une nièce, abbesse du couvent de Saint-Amand à Rouen[3], qui s’était fait une certaine réputation d’esprit, car dans un ouvrage assez ridicule, mais qui n’en est pas moins fort curieux par les nouveaux renseignemens qu’il donne sur les précieuses, le Cercle des Femmes savantes publié en 1663, on lit au nom d’Amestris : « La Normandie n’a pas seulement produit de grands hommes, elle peut encore se vanter de la naissance de Mme l’abbesse de Saint-Amand. » Deux ans auparavant, en 1661, le Grand Dictionnaire historique des Précieuses désignait Mme de Saint-Amand sous le nom de Siridomie[4]. Somaize nous y apprend qu’elle était visitée à la grille de son parloir par ce qu’il y avait de mieux à Rouen, et qu’elle avait près d’elle une autre nièce de Mme de Sablé qui devait lui succéder. Sa correspondance avec sa tante ne dément point sa réputation provinciale.

Mme de Sablé étant liée à la fois avec Port-Royal et avec les Carmélites, on trouve dans ses papiers des lettres qui viennent de l’un et de l’autre monastère. Du côté de Port-Royal, nous n’avons pas un

  1. Portefeuilles de Valant, tome II, p. 277, etc.
  2. Tome II, p. 265, etc.
  3. Voyez notre premier article, livraison du 1er  janvier 1854, p. 7.
  4. Tome II, p. 313.