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vis-à-vis de l’empereur Alexandre ? D’en faire sa dupe bien plus que son rival. Quels profits entendait-il concéder à son jeune allié pour prix de ses condescendances ? La conquête de la Finlande et de vagues espérances du côté de la Turquie. Si un an plus tard, sur les instances de la Russie, déjà profondément émue d’avoir livré l’Espagne et de s’être engagée avec l’Angleterre dans une guerre ruineuse pour quelques déserts héroïquement disputés par le patriotisme suédois, certaines stipulations furent concertées à Erfurt relativement à la Moldavie et à la Valachie, ces stipulations furent entourées de tant de réserves et de tant de mystères, que le cabinet de Pétersbourg ne put jamais en profiter.

La déception fut d’autant plus amère, que les illusions avaient été plus vives. L’alliance russe, déjà chancelante en 1809 lors de la guerre contre l’Autriche, rompue avec éclat en 1810 par la réunion du duché d’Oldenbourg à l’empire, fut donc un leurre et point du tout un système ; elle trompa à peine l’Europe durant quelques mois, et circonscrite dans le cercle si restreint où Napoléon prétendait la maintenir, elle ne pouvait manquer de devenir pour lui une difficulté plutôt qu’une force. Pour retenir la Russie avec tous ses intérêts et toutes ses passions dans l’orbite de la France, il eût fallu que ce peuple y vit la réalisation certaine des espérances suscitées par Pierre le Grand et par Catherine II, et qu’un nouvel empire d’Orient s’établit sur le Bosphore pendant que l’empire d’Occident se donnerait pour frontières l’Elbe et le Tage. Une telle combinaison pouvait créer sans doute pour l’avenir du monde d’incalculables périls, et Napoléon les a signalés à la postérité par des paroles immortelles ; mais ou il fallait renoncer à ses propres desseins, ou il aurait fallu les poursuivre au prix de ces éventualités redoutables. En n’élevant aucune fortune à côté de la sienne, Napoléon s’isolait de plus en plus dans le monde, et sa ruine était la suite nécessaire de son isolement.


IV

À défaut d’une grande alliance qu’il désira toujours sans se prêter jamais aux conditions qui pouvaient la rendre possible, Napoléon aurait pu demander aux populations ce qu’il ne devait pas attendre des gouvernemens. Puisqu’il avait amené l’Autriche et la Prusse à ne pouvoir résister à aucune de ses exigences, et qu’il se refusait à servir les ambitieux desseins de la Russie, lui était-il interdit de profiter de son irrésistible puissance pour redresser la plus funeste des iniquités du siècle précédent ? S’il avait voulu que la grande victime de Frédéric, de Catherine et de Kaunitz sortît de son sépulcre, elle se serait levée radieuse à la face de ses oppresseurs, et il aurait