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réaction « par suite de laquelle la haine commença dans tout l’empire à remplacer l’amour. »

D’où vient que le même événement, exposé dans les mêmes termes par deux hommes appartenant à la même école politique, les ait conduits à des appréciations aussi contraires ? Il faut sans doute en faire honneur à l’éminente sagacité du dernier historien de l’empereur Napoléon. Qu’on me permette de penser toutefois que ce profond désaccord s’explique surtout par l’influence des temps et par l’expérience acquise. M. Bignon a publié son travail dans les années qui suivirent 1830, alors qu’un voile épais dérobait à trop de regards le plus grand côté des choses humaines ; M. Thiers achève le sien sous le coup des enseignemens de 1848, et cette soudaine lumière a dissipé toutes les ombres et fait évanouir tous les fantômes. On discerne mieux aujourd’hui la valeur de certains dédains comme la portée de certaines apothéoses.

En comparant les efforts faits par l’empire avec les résultats obtenus, que trouvons-nous en définitive ? Pendant que le blocus continental ferme à grand’peine quelques ports à l’étranger, il y ouvre tous les cœurs à la haine, et il provoque une lutte à mort avec la Russie, au lieu de cette alliance intime qui formait la base nécessaire du système. Les royautés de famille, plus récalcitrantes que les vieilles dynasties, deviennent, pour les projets comme pour les affections de l’empereur, l’occasion des plus douloureuses épreuves, et leur courte histoire commence à l’abdication de Louis Bonaparte pour finir par la défection de Murat. La restauration du grand empire chrétien de Charlemagne aboutit aux violences matérielles de Rome et aux violences morales de Fontainebleau ; la dotation de Pépin se transforme en département du Tibre, et au lieu de la canonisation qui plaça l’image du chef des Francs sur nos autels, nous trouvons une bulle d’excommunication nuitamment affichée aux portes de Saint-Pierre ! A l’intérieur de cette France, où le consulat avait sanctionné en les régularisant les principaux résultats de la révolution, surgit tout à coup une aristocratie que la victoire fait glorieuse et riche, mais que l’esprit du gouvernement, plus encore que celui du pays, déshérite de toute influence et de toute autorité politique. Après avoir inspiré le code civil, Napoléon fonde les majorats ; il épouse une archiduchesse dans le temps même où il adresse de sévères admonitions aux princes qu’il a couronnés, parce qu’à Naples, en Hollande et en Westphalie, ils travaillent à rapprocher d’eux les illustrations historiques, au mépris du principe qu’ils représentent. Un trésor de l’armée, incessamment alimenté par les contributions de guerre, et des dotations territoriales prises sur les provinces conquises deviennent les ressorts principaux d’un système où les vues politiques de l’empereur se subordonnent