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de la rassurer contre les éventualités qui la préoccupent et l’effraient du côté de la France, Les bases principales de cet arrangement sont déjà arrêtées dans la pensée de l’empereur, et dès que sa majesté les aura fixées définitivement, je ne manquerai pas, monsieur le baron, de les faire connaître à votre excellence.

« Mais, tout en désirant et voulant fermement n’employer que des moyens pacifiques, il est toutefois une considération que nous n’avons pu entièrement perdre, de vue : c’est que l’ascendant moral de la France a pris de telles proportions à Constantinople, qu’il devient fort à appréhender que toutes nos démarches ne finissent par échouer contre l’idée que les conseillers du sultan se sont faite de la force irrésistible du gouvernement français. Il peut arriver que la France, en voyant balancer la Porte, ait recours encore une fois à son système comminatoire, et pèse sur elle de manière à l’empêcher de prêter l’oreille à nos justes réclamations. La partie devient trop inégale entre nous et le gouvernement français, si, tandis que celui-ci fait mouvoir sans opposition son escadre sur tous les points de la Méditerranée et présente la moindre de ses demandes à la bouche du canon, nous laissons indéfiniment s’enraciner dans l’esprit des Turcs l’idée de notre impuissance à les défendre, comme à protéger nos propres intérêts. L’empereur a donc cru devoir aviser d’avance à quelques mesures de précaution pour appuyer nos négociations, neutraliser l’effet des menaces de M. de Lavalette, et se prémunir, en tout état de cause, contre les entreprises d’un gouvernement habitué à procéder par surprises. Nos mesures n’ont point le but de mettre en question d’aucune manière l’indépendance de la Porte Ottomane ; elles ont au contraire celui de maintenir cette indépendance contre une dictature étrangère, en assurant le repos du sultan, en relevant son autorité compromise par l’ambassadeur de France aux yeux de ses sujets du rit grec, qui forment en Europe la majorité de la population de ses états. C’est vous dire, monsieur le baron, que, dans la pensée de l’empereur, la destination de nos préparatifs est d’avoir un effet plus moral que matériel.

« Comme les bruits exagérés qui se sont déjà répandus à ce sujet pourraient inspirer des alarmes, il nous importait d’établir le véritable, esprit de nos intentions. Nous espérons que le gouvernement anglais ne se méprendra pas sur leur nature. Les preuves de modération qu’a données l’empereur dans sa conduite envers la Turquie, en tant d’occasions antérieures, sont un gage que, dans celle-ci, il ne se départira pas des mêmes principes. Un intérêt commun appelle l’Angleterre comme la Russie à veiller à la conservation de la paix en Orient. Cet intérêt, nous l’invoquons en nous adressant franchement aujourd’hui à l’impartialité du gouvernement britannique. Si, comme nous n’en doutons pas, il tient aussi fortement que nous au maintien du statu quo oriental, c’est à lui qu’il appartient d’élever à présent la voix. Nous aider à Constantinople à dissiper l’aveuglement ou la peur panique des Turcs, — ramener à Paris le cabinet français aux conseils de la prudence, — telle doit, être, selon nous, la double tâche des ministres anglais, et, s’ils veulent bien la prendre sur eux, les négociations que nous allons ouvrir se résoudront, nous l’espérons, sans danger pour la paix orientale.