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l’autre[1]. » Enfin lord Stratford de Redcliffe, en retournant à son poste, emporta les instructions de lord Clarendon, qui venait de remplacer lord John Russell au Foreign Office. Ces instructions recommandaient à l’ambassadeur, qui devait passer par Paris et par Vienne avant de se rendre à Constantinople, d’entretenir M. Drouyn de Lhuys et M. de Buol. Il devait promettre au ministre français la coopération cordiale de l’Angleterre pour le maintien de l’intégrité et de l’indépendance de la Turquie, en lui recommandant la modération dans l’affaire des lieux-saints. Il devait donner les mêmes conseils de modération vis-à-vis de la Turquie à M. de Buol et prendre acte des assurances de l’Autriche en faveur d’une politique conservatrice en Orient. Il devait exprimer au sultan, avec les ménagemens dus à sa dignité, l’opinion du gouvernement anglais sur la gravité de la crise où l’empire ottoman était engagé. Il ne devait pas lui dissimuler que si la Porte laissait subsister les griefs des populations chrétiennes, que si elle autorisait par la faiblesse et les désordres de son administration le ton dictatorial que plusieurs gouvernement avaient pris récemment à son égard, elle marchait à une catastrophe. Il devait lui donner tous les conseils propres à détourner un danger suprême, il avait le pouvoir, si l’existence du gouvernement ottoman était mise en question, d’avertir la flotte de Malte qu’elle eût à se tenir prête ; mais il ne devait pas appeler cette flotte aux Dardanelles avant d’avoir des instructions nouvelles et positives de son gouvernement[2].

Telles étaient les dispositions de l’Angleterre à l’époque où le prince Menchikof allait se rendre auprès du sultan. Le prince arriva le 28 février. On se rappelle les circonstances qui signalèrent son entrée à Constantinople. Le prince Menchikof, amiral et ministre de la marine, était accompagné du prince Galitzin, aide de camp de l’empereur, et du comte Dimitri de Nesselrode, fils du chancelier. Il fut rejoint deux jours après par le vice-amiral Kornilof, aide de camp et adjudant-général de l’empereur et commandant de l’escadre de la Mer-Noire, par le général Nikapotchinski, chef d’état-major de l’armée qui se rassemblait sur la frontière, et par d’autres officiers. On apprenait en même temps à Constantinople que le cinquième et le septième corps d’armée s’étaient concentrés en Bessarabie, que l’avant-garde du général Dannenberg n’était qu’à deux heures de marche de Iassy, et que la flotte de Sévastopol était prête au premier ordre à mettre à la voile. Les premiers actes du prince Menchikof confirmèrent les rumeurs d’intimidation qui avaient précédé et accompagné

  1. Corresp., part I, n° 89.
  2. The earl of Clarendon to the viscount Stratford de Redcliffe, 25 feb. 1853. Corresp., part I, n° 94.