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de forme elliptique, est coupé de longues et larges rues; les troupes irrégulières, chargées d’accompagner et de défendre la caravane, en occupent la ligne extérieure. A l’intérieur, le camp est divisé avec beaucoup d’ordre. Là est le quartier marchand, ici sont réunies les tentes des dignitaires et des gens riches de la caravane; enfin une partie distincte est réservée aux chameaux qui font le service de la caravane et aux approvisionnemens. Des tentes remplies de tissus de toutes sortes, des magasins de fruits, d’épices, de petits couteaux et de verroteries, des cuisines en plein vent, tristes cuisines; des femmes arabes au visage tatoué, vêtues de longues chemises bleues, accroupies devant des paniers pleins de galettes qu’elles offrent à l’appétit du consommateur; enfin des encans où l’on procède à la vente publique d’un âne, d’un cheval ou d’un chameau, forment les traits distinctifs du quartier marchand, dont le mouvement d’ailleurs est en parfait contraste avec la calme tranquillité de cette partie du camp où sont réunies les tentes des dignitaires de la caravane. On y distingue d’abord le marphée, gigantesque fauteuil de jonc que l’on recouvre aux jours de solennité d’un drap vert semé de pierreries, et dans lequel on place l’argent et les cadeaux que le grand-seigneur envoie au tombeau du prophète. Près du marphée est le harem du pacha commandant la caravane, vaste tente circulaire de toile bleue, surmontée d’un croissant de cuivre, et dont la dimension égale presque celle de ces cirques nomades qui parcourent les foires de France. Des cavas bien armés, à l’air rébarbatif, veillent nuit et jour auprès de cet asile de la beauté. Près du harem, et communiquant avec lui par un couloir de toile, est le divan où le pacha donne ses audiences, et dont le luxe d’ameublement, tentures de soie, coussins de drap d’or, tapis de Perse, rappelle les beaux jours de l’Orient, alors que le Turc victorieux allait planter sa tente sous les murs de Vienne. Le pacha lui-même est un gros monsieur à barbe grisonnante, très fanatique, dit-on, et qui toutefois s’est abstenu jusqu’à présent de me faire trancher la tête. Il s’est empressé de se débarrasser du costume européanisé de Constantinople, ce qui annonce le goût de ses aises et même assez de goût, comme il est loisible de s’en convaincre quotidiennement de trois à quatre, heure à laquelle le pacha prend son repas en public. La scène ne manque point alors de caractère : accroupi sur le tapis, ayant devant lui un plateau d’argent chargé de vaisselle de même métal, le dignitaire turc se sert de ses doigts, en guise de fourchette; près de lui, un aga, le chasse-mouche à la main, combat à outrance les mouches et les insectes qui pullulent dans le camp. Dans un assez vaste espace ouvert devant la tente et protégé par des cordes, la musique du régiment d’infanterie, en costume à peu près européen, exécute du Rossini. du Meyerbeer, parfois même des mélodies du cru pleines de naïveté et de fantaisie.