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Le long des cordes se presse un public étonné de bourgeois de Samarcande, de banquiers de Téhéran, de derviches, de fermiers du mont Arafat, qui savourent sans doute pour la première fois de leur vie les boums-boums du trombone et les tantaras du cornet à piston.

J’arrive maintenant à parler de la partie la plus extraordinaire du camp, celle réservée aux approvisionnemens et aux chameaux de la caravane. Un parc de chameaux est en vérité une singulière chose. Ils sont là plusieurs centaines d’hercules à bosse et à quatre pattes, rangés par file double, devant une traînée de paille hachée, les uns debout, majestueux dans leur haute taille comme un vaisseau à l’ancre, les autres couchés avec mille poses diverses, tous le dos armé d’une pesante selle de bois recouverte de drap rouge. Là pas de convive glouton, de voisin turbulent, de vis-à-vis bavard : une assemblée de sages prenant leur repas ne présenterait pas un aspect plus calme et plus solennel. Ce sont là des vertus publiques qui sautent à l’œil de l’observateur; mais quel autre que l’Arabe pourrait dire les innombrables vertus privées du quadrupède si sobre, si patient, si modeste, si moral, si pudibond, si infatigable, qui est le compagnon de sa vie ? La Providence a donné à l’Arabe le plus infernal pays du monde : pour lui, point de frais ombrages, de luxuriantes moissons, de ruisseaux limpides; mais elle lui a donné le chameau, le chameau qui le nourrit de son lait, le couvre de sa toison, le chauffe de sa fiente, et le transporte avec une vitesse fabuleuse d’une extrémité à l’autre du désert. Toutes les vertus du patient animal trouvent leur emploi dans le long et pénible voyage de La Mecque, soit que le chameau y apparaisse comme bête de somme, soit qu’on l’emploie pour la monture ou le trait.

Peu d’animaux sont réservées à ce dernier service, parce que les dépenses d’un tartarawan sont fort considérables, et ne peuvent être supportées que par les pèlerins de grande fortune. Les tartarawans sont d’énormes chaises à porteur, où le luxe oriental se déploie dans toute sa fantaisie de dorures et d’arabesques. Les couleurs les plus tendres, le lilas, le rose, le bleu céleste, s’épanouissent sans exception sur les panneaux de cette manière de palanquin : puis ce sont des dorures, des glaces, des coussins de soie, des houppes de plumes d’autruche, des guirlandes de fleurs, des paysages où des Watteaux en turban ont déployé toute l’habileté de leurs pinceaux. Le harnachement du chameau attelé au brancard de devant est digne des splendeurs du véhicule. Caparaçonné de drap rouge, orné à profusion de plumes d’autruche et de sonnettes, majestueux et léger, il s’avance, portant comme un fardeau indigne de sa force la splendide machine. Moins brillant et plus humble est son compagnon attelé au brancard de l’arrière, et que l’on force à courber la