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entière courait disparaître dans la maison des Nassau. De leur côte, ceux-ci s’offrirent ou tentèrent de s’imposer sans relâche. Tour à tour humbles ou menaçans, ils se glissèrent vers le trône à travers toutes les dignités républicaines. Et malgré cela, ni le prince, ni le peuple, n’osèrent jamais attenter par la violence sur la souveraineté et la liberté des états. C’est que ceux-ci étaient les témoins vivans de la révolution religieuse. Ils représentaient le principe d’examen sacré pour tous. La haine même furieuse vint battre le seuil, elle se prit aux individus, et mit en pièces les meilleurs ; mais une certaine crainte, mêlée de pieux respect, ne permit pas que l’on mît jamais la main sur les états. La religion nouvelle veillait à la porte. Pour violer l’assemblée des états, il aurait fallu fouler aux pieds la Bible de Marnix. Je pense aussi que Guillaume Ier, par son exemple, retint ses descendans.

Il y avait dans la foi nouvelle des Hollandais trois principes qui ont engendré leur histoire : premièrement, l’horreur de l’église romaine, par où ils se sont affranchis de l’Espagne et ont constitué leur nationalité ; — secondement, la doctrine calviniste des élus de la grâce, fondement de l’oligarchie des états, qui provoqua la jalouse inimitié des masses. — C’est là ce qui mit si souvent hors de lui le peuple le plus froid et le plus patient de la terre ; il était dévoré d’envie et de haine contre une aristocratie bourgeoise dans laquelle il désespérait d’entrer. Moins elle était élevée par ses origines, plus elle était blessante. Le grand mal qui en résulta, ce fut une république où la liberté était impopulaire, et où chacun croyait gagner tout ce qu’il donnait à l’arbitraire d’un seul. — Il y avait enfin le principe d’examen, duquel naissait le principe républicain du contrat social ; c’est par là que fut sauvée la souveraineté nationale, qui jamais, malgré tout, ne put être absorbée dans le prince[1].

Il faut avouer, d’autre part, que les états firent preuve d’un grand sens dans leur lutte avec la superstition populaire pour le nom de Guillaume. Que de fois ils ont arraché l’arbre à propos pour l’empêcher de s’enraciner, tantôt laissant tomber en désuétude la première dignité de la république, le stathoudérat, tantôt, quand ils y sont forcés, le relevant à demi, sans autre attribution réelle que le nom, puis tout à coup l’anéantissant pour un quart de siècle ! C’est ainsi qu’ils prouvèrent, par le mouvement même, que la république pouvait marcher sans lisière. Après avoir été privé de la domination des Nassau, le peuple redemanda le joug avec fureur : il fallut céder ; mais la liberté avait déjà près d’un siècle de durée,

  1. « Ces cœurs rogues et altiers n’étaient pas disposés à devenir ses esclaves. » Auberi du Meunier, p. 245.