Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est un fait reconnu que les poissons ne déposent jamais tout leur frai en une seule fois. Les œufs n’arrivent pas tous ensemble à l’état de maturité. Lorsqu’elle est livrée à elle-même, la femelle revient à différentes reprises sur la frayère, où le mâle la suit constamment, et ce n’est qu’après un certain nombre de.jours que l’expulsion des œufs est achevée. Quoiqu’on ait déjà remarqué que les œufs mûrs seuls quittent l’ovaire et se trouvent dans la cavité abdominale, on avait cependant toujours conseillé d’opérer les fécondations artificielles d’un seul coup, en pressant sur les côtés du ventre de la femelle pour en faire sortir le frai. Nul doute que dans bien des cas cette pratique, que rien ne venait régler, se soit effectuée avec une violence aussi nuisible au développement d’un grand nombre des produits qu’à la santé de l’animal ainsi opéré.

Frappé de ces inconvéniens et convaincu des avantages qu’on trouve toujours dans la stricte imitation de la nature, M. Millet a eu soin de ne récolter les œufs que par portions et en plusieurs jours à mesure qu’ils devenaient complètement mûrs, et de les faire tomber dans l’eau simultanément avec la laitance du mâle. Comme la captivité a souvent une influence fâcheuse sur les fonctions génératrices des poissons, M. Millet ne les prend qu’au moment même d’opérer la fécondation et les remet immédiatement après en rivière en les tenant à l’attache au moyen d’une ficelle passée dans les ouïes. Ils vivent très bien dans cet état et ne paraissent pas en souffrir notablement. Quelquefois aussi M. Millet s’est servi de frayères artificielles qui rappellent celles de Lund, mais qui sont plus parfaites. Ce sont des sortes de cages à deux fonds, le premier consistant en un châssis de barreaux à claire voie, le second en un tamis mobile en toile métallique. Les femelles, en se frottant sur les barreaux, lâchent leurs œufs, qui tombant sur le tamis. Les mâles étant introduits en même temps dans l’appareil, il arrive ordinairement que la fécondation s’effectue naturellement. Ce mode de récolte a l’avantage de ne laisser perdre aucune portion des œufs, tandis qu’on court ce risque en tenant les femelles à l’attache dans les rivières.

L’appareil d’incubation dont se sert M. Millet varie un peu suivant les circonstances, mais il reste toujours très simple, très commode et très économique. Si le développement de l’œuf doit avoir lieu hors de l’eau où vivent les pareils, soit dans un appartement, soit sous un hangar, on se procure un vase quelconque dont la rapacité soit de trente à trente-cinq litres, et au fond duquel on entasse du gravier, du sable et du charbon de manière à constituer un filtre. Une eau purifiée s’écoule de ce réservoir par un robinet situé à sa partie inférieure et tombe dans des rigoles placées en gradins qu’on peut multiplier à volonté. Cette disposition est tout à fait semblable, comme on le voit, à celle qu’avait déjà choisie M. Coste ; mais M. Millet y a apporté un perfectionnement que du reste, hâtons-nous de le dire, le savant professeur du Collège, de France s’est empressé d’adopter à son tour.

Si pure que soit une eau courante, elle entraîne toujours avec elle et dépose sur le fond qu’elle recouvre des molécules étrangères, qui, si elles s’arrêtaient sur les œufs, finiraient par les entourer d’une sorte de vase favorable au développement de byssus ou moisissures. Pour parer à cet inconvénient, M. Millet a imaginé de suspendre les œufs à une petite distance au-dessous de la surface