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tion algérienne ont un caractère remarquable ; la production s’y est accrue d’une manière sensible. C’est ainsi que l’Algérie, qui tirait il y a peu d’années presque tout son blé de l’étranger, a donné à la France, en 1853, un million d’hectolitres de céréales. Les plantations de tabac ont doublé dans la même période ; les ensemencemens de coton ont décuplé dans le département d’Alger, et l’Afrique peut arriver par la suite à devenir un marché rival des États-Unis. Le mouvement commercial suit la même progression. En définitive, l’Algérie, bien que n’étant point soumise encore à l’Impôt foncier ni à l’impôt personnel, va procurer au trésor des recettes qui couvriront ses dépenses, sauf celles de l’armée. Tout tend ainsi à faire de l’Afrique une possession sérieuse et féconde. L’esprit d’industrie, les travaux agricoles s’y développent à la fois, et plus ils se développeront, plus ils affermiront la sécurité en entraînant la population arabe elle-même dans ce mouvement nouveau, en lui faisant quitter la vie de la tente et du désert pour la vie sédentaire. Dans le fond, cette grande œuvre de la conquête et de la colonisation de l’Algérie se rattache plus qu’on ne le dirait au premier aspect à l’ensemble du développement général de l’Europe et de la France ; elle s’est présentée à un moment où notre pays, nourrissant encore le souvenir de ses gloires militaires, semblait avoir besoin de se frayer un chemin. La France a trouvé là un aliment à son activité ; elle y a concentré ses forces, elle a eu un champ de mâle exercice pour ses soldats ; elle a détourné, en un mot, vers l’Afrique cet esprit guerrier qui l’eût peut-être poussée à quelque entreprise en Europe, et aujourd’hui elle a sur l’autre bord de la Méditerranée les élémens d’un nouveau royaume qui, sans troubler les autres peuples et au grand profit de la civilisation commune, ne pourra, en grandissant, que fortifier sa puissance. Ce sera à coup sûr le témoignage viril de l’énergie créatrice de cette société française, qu’on accuse souvent de se perdre en théories et en paroles.

Lorsqu’on observe cette société depuis un siècle, au milieu de son activité fiévreuse, de ses péripéties et de ses perpétuelles transformations, lorsqu’on la voit passer par toutes les épreuves, sombrer dans l’anarchie, puis se relever victorieuse, et traverser inquiète tous les régimes pour recommencer sans cesse son histoire, il n’est pas surprenant qu’il se trouve des esprits tentés de chercher le secret de ce travail, toujours puissant dans sa mobilité. La société française a eu déjà bien des historiens, elle on aura encore après M. Malpertuy, l’auteur d’une récente Histoire de la Société française au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Chacun la peindra à un point de vue différent, et le mystère n’en sera peut-être pas mieux éclairci. Il semble souvent à ceux qui ont à raconter les grandes aventures de la vie publique de la France que tous les événemens se coordonnent pour aboutir à ce moment où ils se trouvent et où ils écrivent. Au triomphe de chaque cause, c’en est fait, la France a trouvé son abri, la solution définitive du problème qui la tourmente. Elle n’a qu’à s’asseoir et à goûter en paix les bienfaits d’un état qui réalise toutes les conditions de la durée. Puis il vient un jour où l’indéfini cesse tout à coup, où on se retrouve en présence du sphinx redoutable. N’est-ce point ce qui est arrivé bien des fois déjà ? Étrange destinée que celle d’une nation pour qui la gloire et la liberté ne sont que des haltes ! L’intérêt