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que Thomas Purcell s’ingénie à trouver les fonds de toutes les traites tirées sur lui par Kenny J. Dood ? Ne faut-il pas qu’il fasse attendre les créanciers, qu’il harcele les débiteurs, qu’il négocie les valeurs hypothécaires ? Et cela étant, que lui cacher ? Kenny J. Dodd d’ailleurs, en brouille réglée avec sa revêche moitié, obligé de sauvegarder vis-à-vis de ses enfans la majesté paternelle, ne saurait se décharger ailleurs du fardeau de ses doléances, ni choisir un autre confidebt de ses frasques et fredaines.

Puisque le mot est lâché, il faut bien avouer que. Dodd père n’est pas toujours irréprochable. Entre autres faiblesses, à peine pardonnables chez un country-gentleman qui a passé la cinquantaine, ne s’avise-t-il pas de se laisser aller aux séductions d’une sirène errante, mistress Gore Hampton, qui, après l’avoir fasciné, l’enlève un beau jour, et, après l’avoir promené sous un faux nom qu’elle lui persuade de prendre, le livre, pieds et poings liés, à un sien époux armé d’un de ces procès en crim. con, si redoutés de quiconque, en Angleterre, braconne sur les terres d’un voisin marié. Au fait et au prendre, mistress Gore Hampton n’est autre chose qu’une spéculatrice aux dehors fashionables, et dans les affaires de laquelle un indigne mari joue le rôle de commanditaire. Dodd père, tombé dans le traquenard qu’ils lui ont tendu de concert, en est réduit à une transaction ruineuse, tout innocent qu’il soit au fond du crime qu’il rachète ainsi, — et c’est là sa plus terrible épreuve.

Mistress Dodd, — Jemima Dodd, née M’Carthy, — petite-fille de M’Carthy More, qui, en l’an 1006, tua de sa main Shawn-Bhuy na Tiernish, — se sent, par sa noble origine, bien au-dessus de son époux. Elle le traite volontiers de haut en bas, méprisant, comme un instinct essentiellement roturier, l’esprit d’économie qu’il voudrait introduire dans leurs arrangemens de voyage. Ce qui la ravit pendant cette tournée sur le continent, c’est d’y voir réaliser enfin le rêve aristocratique de sa jeunesse. En Angleterre, et même en Irlande, le poids de sa mésalliance la retient dans les régions inférieures de la caste bourgeoise ; mais à peine hors de son pays, elle peut tout à son aise marcher de pair avec les ducs, les comtes, les marquis qu’elle rencontre, et auxquels elle accorde naïvement toute l’importance que la hiérarchie anglaise donne à ces titres. De cette confusion, comme chacun peut le pressentir, doivent sortir de graves désappointemens. Princes polonais, graffs allemands, marquis ou barons de France et d’Italie foisonnent sur les grands chemins où passent les touristes anglais ; mais sous ces écussons trompeurs que de faux chevaliers ! et combien de manans s’inscrivent sans contrôle possible sur les tableaux héraldiques de Baden-Baden ou de Homhourg ! Aussi Jemima Dodd, née M’Carthy, tombe-t-elle de déception en déception jusqu’à ce point d’accepter pour fiancé de sa fille aînée, de la brillante Mary Anne Dodd, le baron Adolf von Wolfenschaefer, Freiherr von Schweinbraten et Ritter de l’ordre du coq de Tubingen, lequel au fond n’est que l’intendant du magnifique Schloss, où les Dodds éblouis lui avaient déjà conduit son orgueilleuse fiancée.

Nous plaindrions volontiers Mary Anne, qui ne devrait pas être victime du travers maternel, si, toute accomplie qu’elle est d’ailleurs, cette jolie enfant n’avait pas la tête un peu tournée par le beau monde où elle vit, et les