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immense, c’est l’action virile et résolue allant droit à un but que tout le monde veut et que tout le monde conspire à obscurcir.

Comment l’Italie est-elle retombée une fois de plus dans le piège de ses vieilles erreurs ? Quelle série de circonstances a fait un instant du Piémont l’instrument désigné de l’indépendance italienne, et de son dernier roi, Charles-Albert, le résumé vivant des espérances, des contradictions, des poignantes vicissitudes de la péninsule, la victime expiatoire d’une entreprise avortée ? C’est le mystère de la civilisation italienne elle-même ; c’est le problème de cette tragique histoire qui n’a point eu encore le temps de se refroidir, dont M. Gualterio trace les prolégomènes saisissans dans ses Rivolgimenti, et Gioberti les complications confuses dans son Rinnovamento civile, que d’autres encore montrent sous ses faces diverses, dans ses épisodes multipliés. En apparence, le dernier mouvement italien, tel qu’il se déroule dans les Deux-Siciles et en Toscane, dans les états de l’église et en Lombardie ou à Turin, ce mouvement commence aux tentatives de réformes dont les princes prennent l’initiative dès 1846 ; il se poursuit par la guerre de l’indépendance en 1848, il trouve son véritable dénouement à Novare en 1849 : c’est un drame qui semble enfermé entre ces dates récentes. En réalité, il plonge dans l’histoire, il a ses racines dans le passé. L’indépendance est la passion immortelle de l’Italie, passion aussi immortelle que difficile à satisfaire. La révolution française, en se répandant au-delà des Alpes, est venue y joindre le goût, l’invincible ardeur des innovations civiles. Il faut que l’Italie vive avec ces deux sentimens qui couvent invariablement dans l’âme des générations contemporaines. Mais de ces deux sentimens quel est celui qui prévaudra d’abord, qui le premier devra rallier toutes les pensées et toutes les forces ? Sera-ce l’indépendance ? sera-ce la révolution des pouvoirs intérieurs et des institutions ? Là est le nœud de toutes les luttes entre les partis depuis un demi-siècle. La nécessité une fois admise de tout subordonner à cette première et vitale condition de l’indépendance nationale, sous quelle forme se présentera la réalisation la plus simple de cette indépendance ? Ici le Piémont intervient, et il jette dans la balance le poids de ses traditions, de son épée, de sa force compacte de cinq millions d’hommes agglomérés au pied des Alpes, à quelques marches de Milan.

Ce n’est point le hasard qui a jeté dans la politique cette idée de la création d’un royaume de la Haute-Italie, sous le sceptre de la maison de Savoie, comme la forme la plus propre à réaliser et à compléter l’indépendance italienne, pas plus que ce n’est le hasard qui a fait tourner en défaites gigantesques les dernières révolutions. C’est la loi de l’histoire qui semble conduire aux tentatives contemporaines