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secrètes intelligences se nouaient entre les patriotes milanais et les libéraux des états sardes. Le gouvernement piémontais lui-même, éclairé par de nombreux symptômes, n’était point éloigné de s’arrêter sur la pente où il avait été entraîné depuis cinq ans ; le roi Victor-Emmanuel avait pris de nouveaux ministres qui, sans dépasser certaines limites, poursuivaient quelques réformes, — le comte Prospero Balbo, le marquis de Saint-Marsan, le comte Alexandre de Saluces. Dans de telles conditions, que restait-il à faire ? C’était la question ardemment agitée dans les conseils du libéralisme piémontais. Les plus sages disaient qu’il était mieux d’attendre, que dans dix ans les hommes intelligens rempliraient les charges publiques, le prince de Carignan serait sur le trône, et l’avenir était gagné, tandis qu’un défi jeté aux événemens allait tout compromettre. À cela Santa-Rosa répondait : « Dix ans, c’est trop attendre ; l’heure est sonnée, il faut saisir l’occasion. » C’était l’impatience qui l’emportait, et ce qui n’était jusque-là qu’une pensée vague devenait un complot noué entre quelques hommes dont les principaux étaient le comte Santorre Santa-Rosa, successivement major d’infanterie et sous-adjudant général ; le comte Lisio, capitaine aux chevau-légers du roi ; le major d’artillerie Collegno ; le colonel de Saint-Marsan, fils du ministre des affaires étrangères : tous militaires quelques-uns attachés au prince de Carignan, en qui ils voyaient leur chef naturel.

Ces cœurs généreux oubliaient qu’on n’enlève pas un peuple, eût-il des griefs, avec un complot concerté entre quelques imaginations ardentes, que d’ailleurs on n’arrête pas une révolution à volonté. Or Santa-Rosa, Lisio, Collegno, Saint-Marsan, n’étaient pas des carbonari décidés à tout pousser à l’extrême : ils étaient de ce qu’on appelait le parti des fédéraux, ils voulaient surtout la guerre contre l’Autriche et certaines réformes politiques, un régime constitutionnel, sans cesser d’être strictement fidèles à la maison de Savoie ; mais il est malheureusement vrai que le carbonarisme était derrière eux, prêt à les servir et à les dépasser. Le caractère militaire des chefs du mouvement montrait assez où ils comptaient trouver leur point d’appui. Déjà, dans les premiers jours de 1821, des scènes à demi révolutionnaires avaient eu lieu à Turin, vagues indices de l’état du pays. Lorsque, le 10 mars, une partie de la garnison d’Alexandrie se soulevait, Santa-Rosa et Lisio, de leur côté, couraient à Pignerol enlever les chevau-légers du roi. Collegno et Saint-Marsan agissaient de même sur d’autres points. Enfin, à Turin même, le 12 mars, après deux jours d’émotions et de péripéties, trois coups de canon partis de la citadelle annonçaient que la garnison s’était prononcée, et le drapeau italien aux trois couleurs était hissé au sommet de la forteresse. Le mot d’ordre de ce mouvement, c’était la guerre contre l’Autriche - et la constitution.