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Faire la guerre à l’Autriche et proclamer la constitution, cela était facile à mettre sur un drapeau d’insurrection. Pour se jeter dans la Lombardie au moment où l’armée autrichienne venait de franchir le Pô, se dirigeant sur Naples, il fallait au moins compter sur une résistance assez prolongée de l’armée napolitaine, et c’était là une prévision des plus chimériques, que n’admettait pas même un des plus éminens militaires piémontais, qui avait servi avec éclat sous l’empire, le général Gilenga. En outre, sans compter les soixante-dix mille hommes qui marchaient sur Naples, l’Autriche avait des garnisons à Milan, à Mantoue, à Vérone, soixante mille hommes sur le Tagliamento, et une réserve prête à descendre de la Carinthie. En peu de temps, l’Autriche pouvait réunir en Italie cent cinquante mille hommes. De son côté, sur quoi pouvait compter le Piémont livré à lui-même pour faire face à cette situation ? Il avait sous les armes peut-être vingt-cinq mille hommes. Et pour faire concorder une révolution politique avec une guerre contre l’Autriche, quel était le drapeau choisi ou plutôt subi par les premiers promoteurs de l’insurrection ? C’était une constitution, véritable idéal de l’anarchie, la constitution espagnole de 1812, c’est-à-dire ce qui était le plus propre à ajouter aux divisions du pays et de l’armée, lorsque le peuple restait froid et étonné, lorsque déjà la brigade de Savoie avait refusé de se joindre aux insurgés, quand Santa-Rosa et Lisio, pour entraîner leurs soldats, avaient été obligés de leur persuader qu’ils agissaient au nom du roi ! Les chefs du mouvement le voyaient eux-mêmes, ils se sentaient dépassés par le carbonarisme, qui leur mettait dans les mains une constitution que leur esprit jugeait sévèrement. Cette révolution n’était point née, que toutes les impossibilités se révélaient à la fois, et elle allait tourner brusquement dans le plus triste impasse.

Le 10 et le 11 mars, le roi Victor-Emmanuel flottait entre toutes les résolutions, tenté parfois de se présenter à ses troupes et retenu par ses amis. Le 12 mars encore, il n’eût point été loin peut-être de faire quelques concessions ; — dans la nuit du 13, il avait abdiqué subitement. Que s’était-il passé dans ce court intervalle ? Le marquis de Saint-Marsan, ministre des affaires étrangères, arrivait du congrès de Laybach, rapportant l’engagement, pris par lui au nom du roi, de ne consentir à aucun changement dans les institutions politiques du pays. Victor-Emmanuel se trouvait dans l’alternative de manquer à ce qu’il considérait comme un engagement d’honneur pris avec l’Europe, ou de se voir contraint peut-être d’appeler l’Autriche à son aide pour comprimer les mouvemens du Piémont : alternative également cruelle pour lui, et devant laquelle sa loyauté se réfugiait dans une abdication ! Mais il s’ensuivait un fait singulier, c’est que cette malheureuse révolution avait justement ainsi pour premier résultat d’amener