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un sentiment plus noble et plus élevé que celui des carbonari. Je confesse que j’aurais été plus prudent, si, malgré ma grande jeunesse, je me fusse tu quand j’entendais parler de guerre, du désir d’étendre les états du roi, de contribuer à l’indépendance de l’Italie, d’obtenir au prix de notre sang une force et une extension de territoire de nature à consolider le bonheur de la patrie ; mais ces élans de l’âme d’un jeune soldat ne peuvent même encore être reniés de mes cheveux gris… Je le sens, jusqu’à mon dernier soupir mon cœur battra au nom de patrie et d’indépendance de l’étranger… » Ainsi Charles-Albert se parlait à lui-même de cette aventure de sa jeunesse au milieu des réserves d’un règne qui ne s’éclaire que par ces deux dates, 1821 et 1848.

Qui ne se trompa point sur ce qu’il y avait de plus grave dans ce mouvement avorté et dans l’intervention du prince de Carignan ? Ce fut l’Autriche, et ici commence un autre drame qui, pour être moins connu, ne laisse point de jeter quelque jour sur la politique contemporaine. À peine avait-il quitté Turin elle Piémont, le prince de Carignan passait à Milan, et là il était reçu par le général Bubna, qui disait ironiquement à ses officiers en le montrant : « Voilà le roi d’Italie ! » Il allait à Modène auprès de Charles-Félix, et le nouveau roi refusait injurieusement de le recevoir ; il se rendait auprès du grand-duc de Toscane, dont il avait épousé la fille, et il trouvait à Florence un accueil affectueux comme homme, mais peu d’appui comme prince. Partout c’était l’hostilité ou une timide réserve. Le mot de cette phase nouvelle, c’est l’Autriche qui pouvait le dire. L’Autriche avait clairement démêlé le plus vivace mobile de Charles-Albert ; elle avait vu dans ce jeune homme destiné à régner l’esprit d’indépendance, la haine de la domination étrangère, tout ce qui, en devenant la pensée d’un souverain, pouvait être l’obstacle de sa politique en Italie. Pour le moment, la présence de Charles-Félix sur le trône de Sardaigne garantissait la subordination de la cour de Turin à ses directions ; mais l’avenir ! Aussi dès cet instant la pensée fixe de l’Autriche était-elle de rompre avec cet avenir en brisant dans le germe la royauté de Charles-Albert ; les agens autrichiens répandus en Italie le proclamaient hautement, plus hautement même qu’il ne le fallait. « Nous lui enlèverons son droit héréditaire à la couronne, » disait sans détour M. de Ficquelmont au marquis de La Maisonfort, ministre français à Florence. — Et son fils ? reprenait celui-ci. — Son fils[1] ! nous verrons. Cela pourrait bien embarrasser pour une régence ; mais on a le temps d’y penser. »

  1. Le roi actuel, Victor-Emmanuel II ; il avait alors quatorze mois. Les fragmens des dépêches du marquis de La Maisonfort publiés par M. Gualterio révèlent pleinement ce côté fort peu connu des affaires d’Italie à cette époque. Tous les agens français en Italie, jusqu’à M. de Chateaubriand, ambassadeur à Rome en 1829, n’ont cessé de suivre cette intrigue, en partie déjouée certainement par leurs efforts.