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Ce qu’on voulait, le marquis de La Maisonfort le disait, c’était surtout « écarter du trône le prince de Garignan, et se tracer, derrière une régence de quinze ans, un chemin pour s’emparer de toute l’Italie. » Ceux qui voyaient plus loin encore allaient jusqu’à une dépossession complète de Charles-Albert et de sa descendance. L’Autriche marchait à son but avec une étrange persistance, épiant les moindres démarches du prince de Garignan, commentant et envenimant ses moindres actes, cherchant jusque dans les procès instruits en Lombardie et en Piémont la trace de ses connivences révolutionnaires pour élever ces connivences à la hauteur d’un crime d’état, barrière infranchissable entre le prince et le trône. Le principal instrument de l’Autriche dans cette œuvre était le duc de Modène, François IV, à la cour duquel se trouvait Charles-Félix au moment de la révolution, et qui avait dès l’origine poussé le nouveau roi aux mesures les plus inflexibles. Ce prince ambitieux, qui toute sa vie a couru après une royauté, avait épousé la fille de Victor-Emmanuel ; l’exclusion du prince de Garignan pouvait lui frayer une route au trône de Sardaigne. L’Autriche en effet proposait au congrès de Laybach d’abolir la loi salique pour le Piémont, et même après avoir échoué à Laybach, cette intrigue se poursuivait assez longtemps, jusque vers 1830, par l’intermédiaire du cardinal Albani, pensionné du prince de Metternich et parent du duc de Modène. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ce prince modenais, en conspirant avec l’Autriche pour arriver au trône de Piémont, ne laissait point de conspirer avec d’autres contre l’Autriche pour mettre la main sur la couronne de Lombardie. Comment toutes ces menées échouèrent-elles ? Par la loyauté de Charles-Félix, qui, tout en restant irrité et sévère à l’égard du prince de Carignan, se refusait à démembrer sa maison, — par l’habileté, la patience, le tact de Charles-Albert lui-même au milieu d’épreuves souvent rudes pour sa fierté, et surtout par la politique de la France, qui intervenait en sa faveur et le couvrait de sa protection en face de l’Autriche. Là est le lien du prince de Carignan avec la France ; là est sans doute la première explication de la part qu’il prenait en 1823 à l’expédition française en Espagne, où nos soldats lui décernaient au Trocadéro les épaulettes de laine de premier grenadier de France. Le besoin de faire honneur à la protection qu’il recevait se confondait évidemment dans son esprit avec un certain désir de réhabilitation politique aux yeux de l’Europe.

Rassemblez les traits divers de cette situation, conséquence fatale d’une aventureuse révolution due au concours de deux choses éternellement