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règne, il crée un conseil d’état, abolit la confiscation, fait de quelques actes mesurés une sorte de point de départ d’un régime nouveau, et en même temps il laisse debout tout le mécanisme et les traditions du gouvernement absolu, il ne touche à aucune des influences régnantes autour du trône, si bien qu’on peut se demander encore : Est-ce un prince réformateur ? est-ce simplement le continuateur de la politique de la veille ?

Tout n’était point facile d’ailleurs dans ces premières années. L’Europe entrait dans une situation nouvelle, la révolution de 1830 s’était accomplie en France et était venue poser le plus redoutable problème, celui de surexciter l’esprit de liberté et d’indépendance parmi les peuples, en laissant subsister les règlemens généraux de 1815. Ce n’est que par un effort d’habileté et de sagesse que la France résolvait ce problème pour elle, en se réfugiant dans le patriotisme de la paix, et en y cherchant le moyen d’étendre ses frontières morales par l’influence de ses principes, sans sortir de ses frontières matérielles. Pour l’Italie, liberté, indépendance, nationalité, tout cela ne faisait qu’un, et tout cela ne pouvait se réaliser que par l’exclusion de l’Autriche, c’est-à-dire par l’abolition des traités de 1815, c’est-à-dire enfin par une guerre universelle. De là l’impossibilité des révolutions tentées en 1831 à Modène, dans la Romagne, tentatives d’autant plus impossibles qu’elles coïncidaient avec l’apaisement de la première ébullition révolutionnaire en France. Ce qui rendait la situation de l’Italie plus difficile encore, c’était l’absence de tout élément modérateur entre le libéralisme violent des conspirations secrètes et toutes les doctrines d’immobilité fortement organisées, disciplinées elles-mêmes dans les associations particulières et menées au combat par l’Autriche. C’est dans ces conditions que Charles-Albert commençait à régner à Turin ; il se trouvait entre le carbonarisme et toutes les influences absolutistes concentrées dans la société dite la Cattolica. La question, dans la pensée du nouveau roi, n’était pas de faire un choix entre ces deux tendances, mais de s’en affranchir également.

Voyez en effet : d’un côté, aux premiers momens, le carbonarisme, transformé dans la Jeune-Italie, se présente sous la figure inconnue encore de M. Mazzini comme pour sonder Charles-Albert ; il murmure à son oreille le mot magique : « Tu seras roi d’Italie ! » - Mais à quel prix ? A la condition de tout bouleverser, de se faire le régénérateur de toute la péninsule, d’édifier l’avenir ; « sinon, non ! » Ainsi parlait M. Mazzini dans une lettre adressée au nouveau roi de Sardaigne et habilement propagée. C’était se méprendre étrangement. Charles-Albert n’aimait pas le carbonarisme ; dans l’appel perfide de ce tentateur, il voyait comme un souvenir ironique de