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questions où ils étaient en désaccord avec les ultra-royalistes, et il attribuait leur faiblesse à ce qu’ils n’avaient pas su conserver l’appui des amis de M. de Talleyrand, qui, à l’en croire, constituaient un parti puissant. Suivant lui, l’existence du cabinet était sérieusement menacée, celui qui le remplacerait ne durerait probablement pas au-delà de quelques jours, le pays tomberait dans l’anarchie, et les alliés ne pourraient plus compter sur le paiement de la contribution imposée à la France. La conférence, ajoutait-il, en avait délibéré ; elle avait appelé dans son sein le duc de Wellington, et le duc, sur l’invitation qu’elle lui avait faite, avait écrit au roi pour lui exposer les vives inquiétudes dont elle était saisie et le supplier d’intervenir à l’effet de rendre l’influence de la cour utile aux vrais intérêts de son gouvernement ; mais sir Charles Stuart doutait du succès d’une pareille démarche : « Le roi, disait-il, n’a, en aucune circonstance, montré assez de caractère pour dominer le parti que toute sa famille a décidément embrassé, à l’unique exception du duc de Berry, et si sa majesté se résout à maintenir le ministère en place sans lui donner l’appui nécessaire, le duc de Richelieu n’a d’autre alternative… que de dissoudre la chambre, malgré la crainte qu’on doit avoir d’encourager le parti des anciens ennemis de la couronne et de favoriser des élections anti-royalistes. Si nos efforts pour soutenir les ministres ne réussissent pas,… je suis disposé à penser que le retour de M. de Blacas est la seule mesure qui puisse donner au roi, à l’égard des princes, l’influence nécessaire pour contenir le parti agissant sous leur direction. »

Les prévisions de sir Charles Stuart furent trompées par l’événement. M. de Blacas ne fut pas rappelé, et un nouveau favori, dont personne n’avait prévu la haute fortune, M. Decazes, alors ministre de la police, devint entre le roi et le cabinet le lien d’un accord qui devait assurer le triomphe de la politique modérée. La chambre des députés, qu’on n’osait pas encore dissoudre, fut prorogée. On congédia le ministre de l’intérieur, M. de Vaublanc, qui était en communauté de sentimens avec la majorité opposante, et il eut pour successeur le président même de la chambre, M. Lainé, que cette majorité avait au contraire fort maltraité. Malheureusement, au moment même où le gouvernement prenait ces graves mesures, une insurrection révolutionnaire éclatait à Grenoble et venait fournir de déplorables argumens aux hommes qui prétendaient que le trône ne pouvait se soutenir que par un système de sévérité et d’exclusion. Le ministère, ainsi compromis et accusé d’avoir encouragé la révolte en se séparant des royalistes ardens, dut pour un temps s’arrêter dans les voies meilleures où il commençait à marcher ; le sang recommença à couler sur les échafauds.