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ou du moins en avait restreint la portée, mais n’avait pu en détruire les effets. Le gouvernement britannique était d’autant plus inquiet de cet état de choses, qu’il craignait toujours que la France, lorsqu’elle aurait repris ses forces et son indépendance, ne dirigeât encore une fois de ce côté son ambitieuse activité. Dès le premier mois de l’année 1818, l’ambassadeur d’Angleterre auprès du roi des Pays-Bas, lord Clancarty, encore tout animé des passions et des souvenirs de la coalition européenne, représentait au roi Guillaume la nécessité de se mettre en mesure contre les chances d’une attaque soudaine de la France, dans le cas où, le territoire français venant à être évacué par les forces alliées, le gouvernement du roi se trouverait entraîné à porter la guerre chez les nations voisines, soit parce qu’il ne pourrait résister aux passions effrénées d’un peuple accoutumé à ne tenir compte d’aucun principe, soit parce qu’il croirait devoir faire ainsi diversion aux sentimens hostiles qui fermentaient contre lui au sein de ce peuple.

L’Europe, on le voit, recelait dès lors bien des causes de perturbations futures, et la paix générale était loin de lui avoir assuré le repos absolu qu’elle avait cru acheter au prix de tant d’efforts. Les états du midi, replacés presque tous sous de faibles gouvernemens et sous les institutions décrépites, impuissantes, que la domination française y avait momentanément renversées, couvaient en quelque sorte des révolutions nouvelles. L’Espagne surtout, où une cruelle et stupide réaction confondait dans une proscription commune les partisans et les adversaires de l’usurpation napoléonienne, où l’administration la plus malhabile achevait d’épuiser les dernières ressources du pays, l’Espagne, troublée et ensanglantée par des conspirations continuelles, était devenue pour le reste de l’Europe un objet de scandale et d’effroi.


II

Tandis que de tous côtés apparaissaient ainsi des signes menaçans pour la tranquillité du monde, tandis qu’en Angleterre même les tories, tout-puissans pendant la guerre, se voyaient en butte sur les places publiques aux agressions violentes des radicaux, et dans le parlement aux vives attaques des whigs réclamant des réformes libérales, la France, par un singulier contraste, semblait revenir à la vie et reprendre son rang parmi les nations. Une harmonie qu’on a vue rarement aussi complète unissait depuis le 5 septembre 1816 le gouvernement et les chambres. Les dernières traces du régime exceptionnel et rigoureux de 1815 s’effaçaient peu à peu. La nation, rassurée sur le maintien des conquêtes essentielles de la révolution, se livrait déjà, avec la vivacité qui lui est habituelle, au travail, au