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dans le reste du monde que dans le pays où se parle la langue de l’auteur. La sympathie religieuse a sans doute contribué à faire rechercher une histoire qui manquait sous cette forme à ceux qu’elle intéresse le plus. Tous les protestans ont loué un ouvrage qui les instruit et les édifie. Il a pu avoir un succès de secte, mais il en mérite un plus étendu. D’ailleurs, quand les sectes sont des nations entières, des nations éclairées et sages, leur suffrage est une recommandation puissante à laquelle nul lecteur apparemment ne se repentira d’avoir déféré.

M. Merle d’Aubigné, pasteur, je crois, aux Eaux-Vives, près Genève, n’est pas un écrivain ordinaire. Il réunit, avec les connaissances nécessaires pour l’œuvre qu’il a entreprise, quelques-unes des meilleures qualités de l’historien, l’ordre, la clarté d’esprit, le talent de raconter, une imagination forte qui se représente vivement les choses, une sévérité éclairée qui juge, une résolution d’esprit qui conclut. Son style est coloré, animé, parfois éloquent ; il sait peindre. La couleur peut paraître forcée par places, les tours sont quelquefois plus oratoires qu’on ne voudrait, les traits ne sont pas constamment heureux, et l’auteur ne se préserve pas assez de la déclamation. La diction, en général grave et correcte, manque de souplesse et de facile élégance. Elle ne descend pas toujours avec grâce à la familiarité. On peut critiquer du néologisme, des locutions qui sentent le terroir, des traits enfin d’un goût hasardé. Les réflexions, nécessaires chez un véritable historien, surtout chez un historien religieux, sont trop prodiguées, ou laissent désirer plus de brièveté. À part ces taches légères, qui même pourraient disparaître, il reste un beau livre, écrit avec talent et avec passion.

La passion est un mérite littéraire, souvent même une condition du talent. Elle ne manque point au nouvel historien de la réformation, parce qu’elle anime l’homme lui-même. En retraçant les scènes du XVIe siècle, il s’émeut, il s’indigne, il s’attendrit comme ses héros. Avec leur foi, il partage leurs affections, leurs espérances, leurs douleurs et souvent leurs colères. Ce serait le méconnaître pourtant que de lui refuser toute impartialité. S’il n’a pas celle de l’indifférence, s’il manque de cette flexibilité d’esprit qui s’intéresse à toutes les causes et s’identifie avec tous les caractères pour rendre ses tableaux plus vivans, il a les sentimens d’un honnête homme, le ferme propos de ne pas calomnier ses adversaires, de ne pas flatter son parti. Plus d’une fois il juge les siens avec une sévérité consciencieuse ; mais cette impartialité péniblement cherchée ne réussit point à inspirer une équité parfaitement intelligente pour des croyances que l’on combat par devoir. Elle est un fruit de la volonté, et M. Merle d’Aubigné sait mieux que personne combien la volonté humaine est impuissante.