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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1162

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l’objet de ses sermons, et son éloquence obtint un succès populaire.

C’est à cette époque (1510 ou 1512) qu’il fut envoyé à Rome pour les affaires de sa communauté. Sa dévotion fut un peu surprise de la liberté de propos des Italiens. Leurs mœurs élégantes et faciles étonnèrent la simplicité d’un moine élevé dans l’austérité d’une humble pauvreté. Il revint peu édifié, mais gardant sa fidélité générale au saint-siège, quoiqu’il Rome même le dogme de la justification en Jésus-Christ eût pris encore dans son esprit plus de clarté et de puissance et fût devenue la pensée dominante de sa vie. À son retour à Wittemberg, il fut reçu docteur. Enhardi par ce titre, il commença véritablement la prédication des idées réformatrices. Ses sermons sur les dix commandemens ont été publiés sous le titre de Déclamations populaires. Ils sont encore catholiques, en ce sens qu’ils ne contiennent aucune agression contre l’église et ses croyances ; mais l’esprit théologique du protestantisme y respire. L’autorité de L’Écriture et le salut par la foi s’y retrouvent à chaque page. « Je préfère aux scolastiques les mystiques et la Bible, » écrivait Luther, et il publiait un écrit anonyme d’un mystique allemand. Son talent et sa doctrine commençaient à faire du bruit. Ses correspondances s’étendaient. Il s’efforçait de convertir pleinement à ses idées le célèbre Erasme, qui les avait effleurées en attaquant les préjugés et l’ignorance des moines, et dont avec toute l’Europe il admirait la science et le génie. Erasme était le Voltaire de son siècle, mais un Voltaire discret et prudent, qui cherchait la louange, évitait les contradictions et désirait la renommée en craignant le bruit. Bientôt Luther devait le dépasser et l’offenser. Dès ce moment, il autorisa un de ses disciples, Bernard de Feldkirchen, le premier des ministres de l’Évangile qui se soit marié, à soutenir des thèses où les nouveaux principes sont explicitement professés. Enfin il publia lui-même quatre-vingt-dix-neuf propositions qu’on peut appeler le premier manifeste de la réforme. On n’en saurait douter en lisant des propositions telles que les suivantes : — L’homme ne peut que vouloir et faire ce qui est mal. — La volonté laissée à elle-même n’est pas libre, mais captive. — L’unique préparation à la grâce est l’élection et la prédestination éternelle de Dieu. — Il n’y a point de vertu morale sans orgueil et sans tristesse, c’est-à-dire sans péché. — Nous ne devenons pas justes en faisant ce qui est juste ; mais étant devenus justes, nous faisons ce qui est juste. -Celui qui dit qu’un théologien qui n’est pas logicien est un hérétique et un aventurier tient un propos aventurier et hérétique. — Aristote est à la théologie ; comme les ténèbres à la lumière.

Ces thèses dirigées contre ce que les protestans appellent le pélagianisme et le rationalisme scolastiques, Luther s’apprêtait à les