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soutenir ou faire soutenir à Wittemberg, à Erfurt et dans les diverses universités d’Allemagne, lorsqu’on vertu d’une bulle du pape Léon X, contre-signée par le docte et facile Sadolet, le dominicain Jean Tezel, inquisiteur de la foi, vint prêcher en Saxe une indulgence plénière aux fidèles qui contribueraient de leurs aumônes à l’achèvement de la basilique de Saint-Pierre. Cela se passait au mois d’octobre 1517, et la veille de la Toussaint, Luther affichait à la porte d’une église de Wittemberg, où une grande affluence de pèlerins venait adorer des reliques, quatre-vingt-quinze thèses ou propositions contre la doctrine des indulgences.

C’est de ce moment qu’on date le commencement de la réformation, et l’on a raison de dire que la question des indulgences fut l’occasion des premières hostilités ; mais on va plus loin, et l’on conclut que cette querelle fut la cause de la réforme. Ainsi le voyageur qui s’arrête avec tous les transports d’une admiration classique devant Saint-Pierre de Rome pourrait se dire que ce magnifique monument coûte à la papauté plus d’un tiers de son empire, et que si un Médicis n’avait aimé le luxe des arts au point de se ruiner pour couronner l’œuvre de Bramante et de Michel-Ange, l’hérésie n’eût point morcelé le royaume du prince des apôtres. Ces rapprochemens peuvent être piquans, et ils ne sont pas absolument sans vérité ; on ne saurait cependant tout ramener à cette unique explication, pas plus qu’on ne doit attribuer la levée de boucliers de Luther au mécontentement de son couvent, privé de l’honneur de prêcher les indulgences. Voltaire n’a pas manqué de dire : « Quand on eut donné aux dominicains cette ferme en Allemagne, les augustins, qui en avaient été longtemps en possession, furent jaloux, et ce petit intérêt de moines dans un coin de la Saxe produisit plus de cent ans de discordes, de fureurs et d’infortunes chez trente nations. Vous n’ignorez pas que cette grande révolution dans l’esprit humain et dans le système politique de l’Europe commença par Martin Luther, que ses supérieurs chargèrent de prêcher contre la marchandise qu’ils n’avaient pu vendre. » Permis à Voltaire de parler ainsi ; mais dans un autre langage Bossuet ne dit-il pas un peu la même chose ? « Qui ne sait, lisons-nous dans l’Histoire des Variations, la publication des indulgences de Léon X et la jalousie des augustins contre les jacobins qu’on leur avait préférés en cette occasion ? Qui ne sait que Luther, choisi pour maintenir l’honneur de son ordre, attaqua premièrement les abus que plusieurs faisaient des indulgences et les excès qu’on en prêchait ? »

Ces expressions d’ailleurs sont remarquables, — des abus, des excès ! La probité de Bossuet ne lui permet pas de méconnaître qu’il y eût lieu à réforme, et tel est en effet le point de vue de l’éloquent