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cherchait un débat solennel ou même un jugement dont il pût appeler. Le pape le déféra à une cour ecclésiastique qui le somma de comparaître à Rome dans soixante jours. Si l’on eût persisté dans cette manière de procéder, on le mettait dans un mortel embarras. Faire défaut eût été une faiblesse, comparaître une témérité que l’exemple de Jean Huss rendait insensée ; mais le légat du pape à la diète germanique obtint le renvoi de l’affaire en Allemagne, avec pouvoir de requérir l’assistance de l’empereur Maximilien et des autres princes de l’empire. Luther fut cité à l’assemblée d’Augsbourg. Cette fois encore le souvenir du concile de Constance, où le sauf-conduit impérial n’avait préservé personne ni des fers ni de la mort, aurait effrayé un moins intrépide. Luther n’hésita pas, il partit. On attendait de lui une rétractation, au moins un acte de soumission. Il demanda de quoi il était accusé, et ne promit de se soumettre que s’il était convaincu d’erreur. Le convaincre, c’était discuter, et discuter, c’était abaisser l’autorité apostolique. Le légat Cajetan, homme savant et modéré, ne put s’empêcher de discuter un peu, tout en protestant contre le débat. Luther répondit. Cette lutte était déjà un immense événement, et l’impression qu’elle produisit fut profonde. Luther avait la supériorité de la science et du talent. Il montra de l’assurance et de la mesure, ce qui ne lui manquait guère dans les circonstances solennelles. Le légat termina la quatrième conférence par ces mots : « Rétracte-toi, ou ne reviens pas. » Luther sortit, et ne revint pas.

Ainsi ce grand procès n’avait rien produit. C’était une réelle victoire pour un simple moine - mis en présence de la papauté et de l’empire. Dans l’état des esprits, toute controverse servait les réformateurs. La nouveauté était pour eux. Pour eux, ils avaient l’originalité de leurs études et de leurs pensées, et cet enthousiasme communicatif qu’inspire la découverte récente de ce qu’on croit la vérité. Il est remarquable que dans toute cette querelle la liberté de citer et de discuter l’Écriture en public fut habituellement regardée comme un avantage pour la réforme et un échec pour l’église. Il régnait d’ailleurs en Allemagne une répugnance assez générale pour l’emploi des moyens violens, et le caractère du légat ne le portait pas à la persécution. Il était modéré, et parut indécis. Luther triomphait. « Ma plume est prête, disait-il, à enfanter de plus grandes choses. Je ne sais moi-même d’où me viennent ces pensées. À mon avis, l’affaire n’est pas même commencée. » La cour de Rome, mal satisfaite de son légat, publia du moins une bulle où la doctrine des indulgences était maintenue dans tous les points attaqués, tandis que Luther, dans la chapelle du Corps-du-Christ à Wittemberg, en appelait du pape au concile général.