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Les pauvres labouriers
Des routes toujours la marine
Tient le beau milieu,
Et d’un roi le carrosse
Ne la f’ rait pas
Bouger d’un pas !

— Bravo ! vive Coulas ! Hein, Jeannette, comment trouvez-vous la chanson !


Quand le marchand de bois
Nous paie ce qu’il nous doit,
Avant de remonter
On pense à sa beauté.
Parlez-moi, pour aller en blonde[1],
D’avoir l’ gousset plein,
Et de faire à sa Rosalie
Tout aussitôt
Un p’tit cadeau !

— Bravo ! Vive Coulas ! vive la Rosalie ! vive Mme Martin ! A boire, madame l’auberge ! Allons, Jeannette, de votre bon vin vieux. Coulas, il faut boire ! Vive la Rosalie !

— Chut ! chut ! ce n’est pas fini. Il y a encore un couplet.

— Ah !… Voyons un peu le dernier !

— Silence donc, qu’on vous dit.

Qui est-c’ qui a fait cett’ chanson ?
C’est Coulas d’ chez Bousson,
Qui gagne très bien son pain
A mener des rondins…
Celui qui l’a faite est d’ Vill’neuve,
De Vill’neuv’ d’amont.
Qu’ceux qui n’ la trouv’ pas belle
Essaient seul’ment
D’en faire autant !

Le couplet de Coulas est à peine achevé, que la surexcitation de toute l’assemblée n’a plus de bornes. Les plus près voisins de Coulas, ne trouvant plus d’autre moyen de lui exprimer dignement leur enthousiasme, ont pris le parti de lui sauter au cou. Le pauvre Coulas a ainsi des bras croisés jusque par-dessus la tête. On dirait un collégien trente-six fois couronné a la distribution des prix. Cependant, comme tout le monde ne peut participer à ces étreintes, l’idée vient enfin à ceux qui sont en arrière de faire lâcher prise aux privilégiés en réclamant la priorité des embrassades pour le beau sexe en la personne de Mme Martin. Mme Martin, pressentant que le nom de son auberge va voler à la postérité sur les ailes de la chanson de Coulas, ne demande pas mieux que de lui en prouver aussi sa reconnaissance, et Coulas, venu à bout de se débarrasser des étreintes de ses camarades, tombe dans les bras de la digne hôtesse. Au spectacle de ce groupe charmant du poète et de la beauté, une nouvelle tempête de bravos et de trépignemens part de tous les coins de la chambre. Les tables, les chaises et les bouteilles se mettent de

  1. Voir sa belle.