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— Ah ! ah !… Et laquelle ?

— Eh bien ! Il me disait de te prier de lui chercher…

— Quoi ?

— Une femme…

— Une femme, moi !

— Oui, une femme, et pour te faciliter les recherches, voici comment il la veut.

— Ah ! il sait déjà comment il la veut ? Mais dans ce cas, le plus sûr serait de la faire faire de commande.

— Il ne la veut… pas trop jeune.

— Oh ! je pense bien qu’il n’ira pas la chercher en nourrice…

— Ni trop vieille, ni trop riche…

— Oh ! cette précaution !

— Ni trop pauvre ni trop bête.

— Pardi, je crois bien, lui qui a tant d’esprit !

— Ni ni… trop… trop fi… fine…

Malgré lui, Josillon se sent gagné par l’émotion, et il se met à balbutier. La Fifine, ne sachant si elle doit attribuer à un balbutiement involontaire ou à une malice intentionnelle de son père l’arrivée de son nom au bout de cette kyrielle, tourne vers lui un regard interrogateur, il s’aperçoit que les yeux de Josillon commencent à devenir humides. À cette découverte, elle s’élance à son cou en cachant sa tête dans sa poitrine, et s’écrie : — Père, père, je vous en prie, ne vous moquez pas de moi !

— Mais pardié ! je ne me moque pas non plus ; je te dis ce qu’il m’a dit de le dire. Veux-tu que je lui écrive de venir demain ?

— Père, vous savez bien que tant que je vous aurai, je n’ai besoin de personne…

— Oui, mais quand tu ne m’auras plus ?

— Père, vous êtes le maître, faites ce que vous croirez pour le mieux.

— Allons, allons, fillette, il n’y a pas là de quoi pleurer ; il n’y a pas grand danger à le laisser venir, quand ce ne serait que pour voir la drôle de mine qu’il va faire ! Pardié, tu garderas toujours ton quant à lui tant que tu voudras ! Eh bien donc ! je vais lui écrire un mot, comme je le lui ai promis ; apporte-moi de l’encre et du papier.

En fait de papier, la Fifine n’a guère que les pages restées blanches sur ses cahiers au temps où elle allait à l’école. Elle déchire donc une page à un de ces cahiers et la donne à son père ; puis elle va prendre sur un des rayons du dressoir son vieil encrier de verre dans lequel une vieille grosse plume de coq d’Inde est censée tremper dans l’encre. L’origine de cette plume se perd dans la nuit des temps, et cependant son tuyau robuste et blanchâtre semble lui garantir encore une durée bien longue, car Josillon ne se met pas souvent en frais d’écriture. Josillon trempe sa plume, et voici ce qu’il écrit :

« Mon cher Manuel,

« Je mets la main à la plume pour te faire savoir par la présente que je viens de mettre les pommes de terre sur le feu. Il me semble qu’elles cuisent à gros bouillon. Si tu veux venir voir si elles sont cuites, il ne tient plus