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qu’à toi. La présente nous laisse en bonne santé ; je souhaite qu’elle vous trouve aussi de même. « Je suis pour la vie ton fidèle

« JOSILLON CLAIRET. »

— Ah !… voilà !

— Comment est-ce que vous avez mis, père ?

— Oh ! maintenant… ça ne te regarde plus. Donne-moi seulement un peu de mie de pain, que je cachette…

Josillon plie sa lettre à la façon des cuisinières, c’est-à-dire de telle sorte que la place du cachet se trouve juste au bord même de son petit carré épistolaire, puis il va la jeter à la poste et revient en attendre les suites en toute tranquillité d’âme.


II

C’est par des actes, bien plus que par des paroles, que Josillon exprime sa tendresse à la Fifine. La première pêche de ses pêchers, la première grappe de ses raisins, la première reine-claude de ses pruniers, tout cela, c’est toujours pour elle. Et il faut voir avec quel air triomphant il vient lui offrir ces délicieuses primeurs. Dans son zèle en ce genre, Josillon va même à l’occasion jusqu’au maraudage. En automne, quand les turquies (maïs) mûrissent, il faut être doué dans nos pays d’un stoïcisme bien robuste pour passer alors auprès d’un beau champ de turquies sans en cueillir une grappe, surtout quand on a au logis une personne chère que l’on sait être friande de ce régal. Or c’est précisément là le cas de la Fifine. C’est toujours pour elle une joie nouvelle de voir sortir de la poche de Josillon une de ces belles grappes seulement à moitié mûre, d’en enlever l’une après l’autre les feuilles, vertes par-dessus et blanches par-dessous, entremêlées de longues barbes flottantes, pour découvrir enfin ces jolis petits grains si laiteux et si blanchâtres, auxquels il fait si bon mordre à belles dents quand on les a grillés sur les charbons. La Fifine, une fois en train de mordre à son rôt, ne s’informe plus de sa provenance. Nous devons ajouter, à la décharge de Josillon, qu’un pareil maraudage n’est pas considéré dans le Jura comme un délit beaucoup plus grave que celui de cueillir un raisin quand on a bien soif, en passant dans une vigne à l’époque de la vendange.

Pour les dimanches de pluie ou d’hiver où il est impossible de sortir, Josillon a soin d’avoir toujours une provision de vieux journaux que lui prête son cordonnier, et au moyen desquels la Fifine s’initie à sa manière à la politique et à la littérature. Si tôt qu’il arrive des Franconi à la promenade Barbarine, des comédiens au théâtre, une ménagerie sur la place Lilot ou des sauteurs sous la halle du marché, Josillon trouve toujours une pièce de dix sous au coin de son gousset pour y mener la Fifine. Jamais enfin il ne vend un carri de vin sans réserver en sus du prix convenu des épingles pour elle. Comme la Sainte-Fifine et la Saint-Josillon ne constituent qu’une seule et même fête, la Saint-Joseph, — tous les ans, ce jour-là, il y grande liesse au logis. Dans les années de bonne récolte, on y tient même