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avaient suivi une progression égale. Hélène avait fait le récit de sa vie. Moins indiscrète que son père, ou l’étant en d’autres termes, elle fit entrer Antoine dans son intérieur. Antoine lui avoua que M. Bridoux lui avait déjà fait connaître en partie les détails de cette existence laborieuse et difficile. Il confessa à Hélène que ces indiscrétions paternelles avaient été une des premières causes de l’intérêt qu’elle lui avait inspiré, et qui s’était accru au point qu’il avait été forcé de lui donner un autre nom. Lui aussi raconta sa vie. Hélène y retrouva un écho de la sienne. Elle pouvait mieux qu’une autre comprendre, sous les formes discrètes d’un récit qui ne quêtait pas la pitié, ce qu’il y avait en réalité de misère réelle et courageusement acceptée dans l’existence des Buveurs d’eau. Elle se passionnait d’un enthousiasme quasi filial pour la grand’mère d’Antoine; un peu plus elle aurait dit : Notre grand’mère. Dans le courant de ces mutuelles révélations, le souvenir de son album revint à l’esprit d’Antoine. Hélène ne lui en avait pas encore parlé. Au moment où il allait l’interroger à ce propos, ce fut la jeune fille elle-même qui alla au-devant de sa pensée. Pouvait-elle craindre de montrer de la confiance à qui venait de lui en donner tant de preuves ? Elle raconta comment, après avoir trouvé l’album dans le wagon, elle et son père avaient voulu l’utiliser à leur profit. Elle dit les raisons qui l’avaient retenue quand la pensée lui était venue de le restituer. — Et en voici une que vous oubliez, dit Antoine en tirant de sa poche la copie de la chanson d’Olivier trouvée sur le remorqueur, et qu’il avait conservée.

— Vous ne m’avez pas laissé finir, dit-elle à son compagnon, après qu’il lui eut appris comment ce papier se trouvait entre ses mains.

Pressentant qu’il y avait peut-être une préoccupation jalouse dans la remarque d’Antoine et connaissant par une récente expérience toutes les angoisses de ce tourment, elle se hâta de les lui éviter.

— Non, ce n’est pas ce que vous croyez, lui dit-elle en pesant doucement sur son bras, comme pour faire de cette pression une caresse. Elle avoua la puérile curiosité qui l’avait poussée à copier ces vers. Antoine fut ému de la persistance qu’elle mettait à être crue.

— Bien crue ? ajouta-t-elle, et je ne suis pas menteuse, du moins je ne l’étais pas avant de vous connaître; j’ai bien menti à mon père tout à l’heure, mais c’était à cause de vous, à cause de nous, fit-elle plus vivement, devinant que cette pluralité était une câlinerie de langage. Elle s’exprima, à propos de son cousin Olivier, sinon dans les mêmes termes, du moins de façon à confirmer ce qui avait été dit par M. Bridoux relativement à la froideur qui existait entre sa fille et son neveu.

— Olivier, qui me dit volontiers ses affaires, ne m’a jamais parlé de vous, fit Antoine.

Voulait-il, en constatant l’indifférence de son ami pour sa cousine,