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Les lamentations funéraires sur les tombeaux des morts occupent une grande place dans les chants du gouslo.


« Une pierre s’est détachée de la montagne de Bude; en tombant dans la vallée elle a tué un beau jeune homme, André. À cette nouvelle, la pauvre fiancée d’André s’est dit : — Hélas ! si je pousse des cris, si je raconte dans une funèbre complainte toutes les vertus de mon bien-aimé, ma complainte, répétée de bouche en bouche, finira par passer sur les lèvres moqueuses des gens qui n’ont jamais aimé. Si pour éterniser son nom je lui élève un mausolée dans un long-poème imprimé, le livre ira de mains en mains jusque dans celles des méchans. J’aime mieux me taire, ô toi qui devais être mon époux ! et, loin du monde, t’élever dans mon triste cœur un tombeau que rien ne puisse flétrir. »


Il serait, ce me semble, difficile de trouver quelque chose de plus attendrissant et de plus slave à la fois que la plainte suivante d’une mère bosniaque :


« Unique bonheur de sa mère, le jeune Konda est mort. Ne pouvant pas se séparer du corps de son enfant, la pauvre mère l’enterre près de sa demeure, dans un vert bosquet. Sous un oranger aux fruits d’or s’élève le tombeau de Konda. Chaque matin, la mère désolée va se coucher sur la tombe et cause avec l’âme de son fils. — Mon pauvre enfant, dis-moi, la terre t’est-elle pesante ? ta poitrine est-elle oppressée par les planches d’érable du cercueil ? Un bruit plaintif sort doucement du fond de la terre : — Ce n’est point, ô mère chérie, la terre qui me pèse, ni les planches d’érable de mon cercueil; ce qui me tourmente, c’est la douleur de ma fiancée. Chaque fois qu’elle pleure, mon âme en gémit dans les cieux, et quand elle se désespère, mes os se brisent et s’entrechoquent dans le tombeau. »


Je trouve dans Subbotitj un chant funéraire qui a, sous tous les, rapports, sa place marquée ici à côté de cette plainte touchante; il est intitulé la Rosée, c’est de la rosée du cœur qu’il s’agit :


« Quelle est la figure qu’on voit, soir et matin, assise sur l’herbe au pied de cette croix verdoyante ? Serait-ce une jeune fille qui aurait perdu ici un anneau à pierres précieuses, ou quelque riche parure ? ou bien est-ce un amant qui donne ici rendez-vous à l’ange de ses pensées ? Ce n’est ni une jeune fille cherchant ce qu’elle a perdu, ni un amant cherchant celle qui possède sa foi; c’est une pauvre mère éplorée au tombeau de son fils unique. Chaque jour, elle vient ici foudre en larmes. De ses larmes, les unes, versées quand le soleil se; lève, sont pour regretter l’enfant qui n’est plus; les autres, répandues quand le soleil se couche, sont pour conjurer Dieu de l’enlever elle aussi. Les pleurs qu’elle répand pour demander au ciel d’être réunie à son fils brillent comme des perles pures à la clarté de la lune, et les pleurs qu’elle verse sur la mort de son fils montent, brûlante rosée, dans les rayons de l’aurore, qui les porte vers Dieu. »


Enfin, pour montrer avec quelle grâce parfaite Subbotitj a su