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espèces de chansons populaires : les krahoviaks et les kolomyiki. La krakotiaka se compose d’au plus deux ou trois strophes quand elle est très longue, d’ordinaire elle ne contient que trois ou quatre vers. C’est un simple caprice, une boutade que le paysan de Mazovie jette en passant à l’écho des forêts pour épancher sa joie, ou pour s’égayer lui-même dans un accès de tristesse. En voici des exemples d’après le savant Visznievski :


« Le pré s’ennuie sans le rossignol, et moi je m’ennuie loin de mes parens. L’arbre sans feuilles se dessèche, le poisson hors de l’eau meurt, et mon cœur à moi se fane au milieu des étrangers.

« Pourquoi ne labourez-vous pas, ô mes bœufs, blancs de poussière ? ma jeunesse, pourquoi marches-tu triste ? Mes bœufs gris, vous avez assez labouré, et toi, ma jeunesse, tu as assez perdu ton temps.

« Le long du chemin, des champignons ont poussé tout à la file. Les fillettes passent par le chemin : elles se moquent de Ianek. Ianek ne sait point labourer; Ianek ne sait pas herser ni plaisanter avec les fillettes. »

« La pauvre orpheline, en moissonnant du chanvre pour autrui, raconte au vert bocage sa triste destinée : Je n’ai plus de famille; mais toi, ô Dieu du ciel ! tu es encore pour moi un père, et tu me reprendras là-haut dans ta maison, et toi, ô terre noire, tu es encore ma mère, et tu me rouvriras ton sein. — La terre dure s’attendrit et répond : Prends courage, petite fille, tâche que le monde te console, car mes entrailles à moi sont bien froides, et tes charmes y seraient bien vite flétris. »


Les paysans ruthéniens de la Galicie composent, sous le nom de kolomyika, des chansons empreintes d’un autre caractère, plus longues, plus libres, plus symboliques, et où respire une imagination plus fleurie, plus orientale. Aussi ressemblent-elles bien davantage aux piesnas cosaques et serbes. On y voit percer avec plus de force la vie de commune, la vie de famille :


« Près d’une blanche cabane sont trois jardins verdoyans : dans l’un, le rossignol chante de doux airs; dans l’autre, un coucou se plaint et gronde; dans le troisième, une mère tendre dit tout bas à son fils nouvellement marié : Mon enfant, qu’y a-t-il de plus doux à ton cœur ici-bas ? Est-ce ta jeune épouse, ta belle-mère ou ta mère propre ? — Mon épouse m’est douce à l’âme, quand nous sommes bien d’accord. Ma belle-mère m’est chère, quand elle ne nous importune pas; mais toi, ô mère qui m’as porté dans ton sein et qui m’as enfanté au milieu des tortures pour m’allaiter ensuite de ton fait nuit et jour, toi seule, ô mère chérie ! tu m’es toujours douce en tout temps. »


Quelque élémentaires, quelque bornées qu’elles soient, ces deux espèces de chants populaires constituent le seul débris encore existant de l’ancien génie national polonais en poésie. Tout ce qui n’est pas krakoviaka ou kolomyika reste plus ou moins en dehors des chaumières, et ne relève pas spontanément du génie de la Pologne. Toute poésie exclusivement propre aux châteaux ne saurait dans