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armemens militaires ne se rapportaient pas à l’affaire des lieux-saints : « Soyez sûr que la paix ne sera jamais troublée par une cause qui n’a point d’importance réelle par elle-même... Je vous le répète, une pareille affaire n’a jamais été posée comme un cas de guerre, ni n’a donné lieu à un ultimatum impératif comme celui de l’Autriche. Cette puissance, continuait le chancelier, nous a enlevé heureusement le seul cas de guerre qui put être dans nos prévisions, le règlement des relations de la porte avec le Monténégro, et c’est avant que cette question fût terminée que nos armemens ont été faits et maintenus comme moyen d’intimidation vis-à-vis de la Porte. » Telles sont les confidences dont la Russie nous honorait au moment où elle débattait avec l’Angleterre les plus grandes éventualités de la question d’Orient, et ces confidences n’étaient, comme on voit, que des déceptions nouvelles.

Dans cette campagne diplomatique dont nous avons essayé de décrire le plan, la Russie ayant résolu de cacher à l’Angleterre son second objet, son objet immédiat, le protectorat des Grecs, et s’étant efforcée de la gagner ou au moins de l’éblouir et de se la concilier en lui confiant son objet principal, mais éloigné, le partage de la Turquie, le succès n’était possible qu’à une condition : c’est que le prince Menchikof enlevât d’emblée le protectorat des Grecs, sans laisser à l’Europe et surtout à l’Angleterre, surprises par la rapidité du coup, le temps de se reconnaître, de se raviser et de résister. La question du protectorat n’ayant pu être emportée d’assaut par le prince Menchikof, la campagne diplomatique de la Russie avortait infailliblement. L’artificieuse stratégie de l’empereur Nicolas se retournait contre lui-même. L’apparente confiance qu’il avait témoignée à l’Angleterre en l’entretenant de ses plans les plus vastes faisait ressortir d’une façon blessante pour le gouvernement anglais, accusatrice pour les projets secrets de la Russie, le mystère dont elle avait entouré l’objet de la mission Menchikof. L’Angleterre devait s’offenser de voir si tôt violée la promesse de l’empereur, « qu’il ne tirerait aucun avantage de la faiblesse de la porte pour en obtenir des concessions qui pourraient être préjudiciables aux autres puissances. » Enfin comment pouvait-on supposer que, connaissant les vues de l’empereur Nicolas sur la fin inévitable et prochaine de la Turquie, elle voulût lui laisser prendre en avance d’hoirie le protectorat, ou pour mieux dire le gouvernement religieux et moral de douze millions de sujets chrétiens de l’empire ottoman ? La politique russe avait commis deux fautes : à Londres, elle avait eu trop ou pas assez de franchise dans ses confidences; à Constantinople, elle avait manqué de promptitude et d’adresse dans l’action.

Hautaine sans grandeur et rusée sans habileté, la politique russe, après l’échec du prince Menchikof, se laissa entraîner à de violens