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REVUE DES DEUX MONDES.

jours un des points les plus délicats de la situation du Piémont, parce qu’il met aux prises les passions les plus vives, — et les mesures les plus propres à calmer ces passions, à désarmer les susceptibilités sincères et légitimes, seront sans nul doute les plus profitables à raffermissement du gouvernement constitutionnel au-delà des Alpes. Une autre question grave, quoique d’un ordre différent, qui vient de s’agiter dans la chambre des députés de Turin, c’est celle d’un emprunt de 35 millions de francs que le gouvernement a été autorisé à contracter. Par malheur, tout en se préoccupant vivement de l’aggravation des charges publiques, tout le monde a dû reconnaître la nécessité de cet emprunt, non-seulement au point de vue de la situation ordinaire des finances, qui présente un déficit de plus de 23 millions, mais encore au point de vue de la situation générale de l’Europe. Sans sortir d’une extrême réserve, M. de Cavour n’en a pas moins saisi l’occasion de déclarer que, si l’intérêt et l’honneur du Piémont étaient mis en cause, le gouvernement serait prêt à agir. Au moment où se poursuit ce mouvement régulier d’affaires et d’incidens dans le Piémont, un autre pays de l’Italie vient d’être le théâtre d’un déplorable événement. Le duc de Parme a été assassiné le 27 de ce mois. Nulle cause politique ne semble avoir déterminé ce crime. Le nouveau souverain de Parme est né en 1848, et reste sous la régence de sa mère, fille du duc de Berry, frappé par Louvel. Les destinées tragiques de sa famille ne semblent-elles pas se poursuivre dans cette princesse ?

CH. DE MAZADE.


REVUE MUSICALE.

Après une interruption de vingt-six ans, l’Opéra vient de reprendre la Vestale, de Spontini. Depuis 1828, on n’avait point osé mettre sous les yeux du public parisien ce chef-d’œuvre de l’ancien répertoire, qui a eu un si grand retentissement en Europe et qui marque dans l’histoire de la musique dramatique. Cette solennité avait attiré un grand nombre de curieux qu’on pouvait classer facilement en deux générations différentes : les admirateurs du chef-d’œuvre de Spontini qui en sont les contemporains par l’éducation et les souvenirs, et les hommes nouveaux qui ne croient point à l’existence des beautés durables, et qui pensent qu’il en est de la musique comme des femmes qui ont cessé d’être jeunes, qu’on salue respectueusement en allant chercher fortune ailleurs. Cette diversité d’opinions, qui se produit dans toutes les questions où la sensibilité est en jeu, est bien plus tranchée en musique que dans les autres arts. On admet volontiers qu’il y a en littérature et en peinture des monumens qu’il faut absolument admirer sous peine de se voir classé parmi les gens qui n’ont pas reçu ce degré d’éducation libérale qui tonne le caractère de la société polie, tandis qu’on semble tirer vanité de ne rien comprendre aux beautés consacrées d’un art qui vit d’émotions. C’est ainsi qu’on ne rougit pas de préférer une bagatelle à la mode à un chef-d’œuvre de Mozart. Sans trop nous appesantir sur une question qui a été souvent agitée par les philosophes, et qui nous mènerait tout droit au Philèbe de Platon, quelques mots sur ce sujet intéressant ne seront pas inutiles.

C’est le 15 décembre 1807 qu’a eu lieu la première représentation de la Vestale. Spontini avait alors trente-trois ans. Né à Majolati, à quelques