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espérances, des aspirations qui de tout temps ont tourné les regards de la nation arménienne vers le monde occidental. C’est de là que lui est venue la lumière et qu’elle attend sa rédemption. Un des traits saillans de son caractère, celui qui la distingue entre tous les autres peuples de l’Orient, c’est un goût prononcé pour les littératures et la civilisation de l’Europe, qui s’est manifesté aux différentes époques de son histoire, lorsque ce goût a trouvé un aliment pour l’exciter et une occasion favorable pour se développer.

Dès le commencement du IVe siècle, les Arméniens, initiés à la connaissance de l’Évangile par les Grecs de l’Asie-Mineure, leurs voisins, s’éprirent tout à coup d’un vif enthousiasme pour la langue de leurs instituteurs religieux et les chefs-d’œuvre qui l’ont enrichie ; Athènes, Alexandrie, Constantinople, Rome, les virent accourir en foule et se presser autour des chaires où les sciences, les lettres et la philosophie étaient alors enseignées avec tant d’éclat ; mais ce furent surtout les écoles d’Athènes qu’ils fréquentaient et où ils se distinguèrent le plus, c’est là qu’ils se rencontrèrent sur les mêmes bancs avec saint Basile. Saint Grégoire de Nazianze raconte que le futur évêque de Césarée, alors encore à ses débuts scolaires, eut avec eux une vive discussion, dans laquelle les Arméniens, qui avaient déjà terminé leurs cours d’étude, se prévalaient de l’honneur qui leur avait été conféré de revêtir la robe philosophique. Le plus illustre de ces représentans de l’Arménie dans la capitale de l’Attique fut ce Proæresius dont parle Eunape dans ses Vies des Philosophes, et qui s’était fait dans la chaire d’éloquence qu’il occupait une telle réputation, qu’à Rome on lui érigea une statue avec cette inscription : Regina rerum Roma regi eloquentiœ. Parmi ses élèves, Proæresius compta saint Grégoire de Nazianze, qui nous a laissé une pièce de vers où il célèbre les rares talens de son maître.

À partir de cette époque, et pendant plusieurs siècles, les Arméniens ne cessèrent d’étudier la littérature grecque avec une infatigable ardeur, et de lui emprunter ses meilleurs auteurs, poètes, historiens, philosophes et mathématiciens, qu’ils traduisirent dans leur langue ; mais leurs prédilections furent surtout pour les grands orateurs et les docteurs les plus savans de l’église grecque, saint Athanase, saint Basile de Césarée, saint Grégoire de Nazianze, les deux saints Cyrille, de Jérusalem et d’Alexandrie, saint Jean Chrysostôme, saint Épiphane, etc. Ces versions nous ont conservé nombre de traités ou de fragmens de ces pères, dont l’original a péri. Depuis la restauration des études arméniennes par la congrégation des mekhitaristes, et grâce aux recherches persévérantes de ces doctes religieux, plusieurs de ces ouvrages que l’on croyait irrévocablement perdus, comme la Chronique d’Eusèbe, des parties de Philon, de saint Éphrem,