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de saint Jean Chrysostôme, ont été retrouvés et ont vu le jour. A défaut de l’original, il est précieux de posséder ces traductions, qui en sont un calque aussi exact que possible, et qui remontent elles-mêmes à une haute antiquité. Cette fidélité tient non-seulement à l’intelligence approfondie que les Arméniens avaient acquise de la langue grecque, mais aussi au mécanisme de leur idiome, qui se prête admirablement à reproduire le génie de cette langue. En effet, l’une et l’autre appartiennent à la famille indo-germanique et trahissent entre elles plus d’une affinité, avec cette différence que l’arménien, hérissé de consonnes et rude comme tout dialecte parlé par des montagnards, annonce une origine plus ancienne, plus rapprochée du type primitif; mais de part et d’autre c’est la même fécondité dans la nomenclature lexicographique et les formes grammaticales, la même flexibilité de construction, la même puissance de créer indéfiniment de nouveaux composés. Tandis que la plupart des idiomes orientaux, principalement ceux des peuples de race sémitique, sont morts, en ce sens qu’ils sont inhabiles à se transformer pour suivre une évolution sociale différente de celle dont ils émanent, la langue arménienne reste toujours vivante, et comme une source d’où jaillissent sans cesse toutes les expressions que le progrès des sciences ou de la civilisation peut réclamer. Les tenues les plus artificiels, les plus compliqués de nos vocabulaires technologiques sont rendus par elle sans efforts, avec les élémens que lui fournit son dictionnaire et sans qu’elle ait à faire ailleurs aucun emprunt.

Cette culture à la fois savante et passionnée des lettres grecques dut nécessairement exercer une profonde influence sur le développement de la littérature arménienne. C’est l’esprit grec ou occidental qui révéla aux écrivains qu’elle a produits ce que les Orientaux ignorèrent presque toujours, l’art de subordonner les conceptions de l’intelligence et de l’imagination aux règles de la logique, les artifices et la sobriété du style, l’économie d’un plan sagement tracé, et les mouvemens d’une éloquence naturelle et sans écarts. Ces qualités, qui brillent dans un grand nombre de ces écrivains, se retrouvent à un haut degré dans ceux du Ve siècle, l’âge d’or de cette littérature.

Au goût que les Arméniens ont manifesté pour le grec dans l’antiquité s’est substitué celui de la langue qui, dans nos sociétés modernes, a conquis l’universalité qu’eut autrefois celle d’Homère et de Démosthènes, parce qu’elle est comme celle-ci le type le plus parfait de l’urbanité, l’expression la plus nette, la plus élégante de la pensée humaine, celle qui a enfanté le plus de chefs-d’œuvre immortels, — je veux dire la langue française. Dans les écoles qu’ils ont fondées non-seulement en Europe, mais jusque dans les provinces de la