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légitime pendant son absence. Cédant à toutes ces assurances, ce prince se mit en route. A son arrivée à Constantinople, invité, pressé de souscrire à une renonciation à la couronne d’Arménie, il s’y refusa d’abord avec une fermeté que ne purent vaincre les obsessions ni la prison. Forcé enfin de céder, il reçut en propriété la petite ville de Bizou, en Cappadoce, qui fut pour lui moins une compensation de la perte de ses états qu’un lieu d’exil. Après y avoir vécu trente-cinq ans, le souvenir de la patrie se réveillant plus vivement que jamais dans son cœur, il parvint à s’échapper. Surpris seul en route dans un endroit écarté par trois chefs grecs qui possédaient le château de Gizisdra, dans les environs et à l’ouest de Césarée, il fut entraîné dans les murs de cette forteresse et immédiatement étranglé. Ceux qui l’accompagnaient dans sa fuite, apprenant qu’il était tombé entre les mains des Grecs, accoururent le lendemain dès l’aurore pour le délivrer. Le premier objet qui frappa leurs regards, en arrivant sous les murs de Gizisdra, fut le corps de leur malheureux souverain qui se balançait suspendu aux créneaux. Cet acte odieux de spoliation et ce meurtre abominable mirent fin à la dynastie des Bagratides, et l’Arménie, restée sans chef et en proie à l’anarchie, se trouva exposée sans défense aux invasions et aux ravages des Grecs, des Arabes, et d’un ennemi bien autrement formidable, les hordes turkes, qui s’avançaient après avoir fait la conquête de la Perse.

Tandis que l’Arménie était plongée dans cet excès de misère et d’abaissement, elle vit, par un de ces contrastes étonnans dont la Providence se plaît quelquefois à donner le spectacle au monde, plusieurs de ses enfans parvenir à une fortune éclatante à la cour de Byzance, y occuper les plus hautes dignités militaires, s’allier au sang impérial et s’asseoir sur le trône des Césars. L’empereur Maurice avait vu le jour dans la Cappadoce arménienne; Léon V appartenait à la famille des Ardzrounis, dont les possessions s’étendaient sur toute la province du Vasbouragan, au sud et à l’est du lac de Van; Basile le Macédonien, qui descendait de la race royale des Arsacides, fut la souche d’une lignée de princes qui régnèrent à Byzance pendant près de deux siècles (867-1086). Enfin Jean Zimiscès, qui racheta son usurpation par ses brillantes victoires sur les Arabes, les Russes et les Bulgares, était né dans la province appelée Quatrième-Arménie, sur les bords de l’Euphrate.

La portion de l’Arménie que les Grecs avaient usurpée ne demeura pas longtemps en leur possession. Eux-mêmes étaient impuissans à la protéger contre les envahissemens du dehors, et comme ils redoutaient toujours quelque velléité d’indépendance de la part des populations, dont ils étaient détestés, ils leur avaient enlevé, par l’exil ou par la mort, tous les chefs doués de talens militaires. Le khalifat.