Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands officiers de sa cour pour lui poser la couronne sur la tête. L’empereur Basile le reconnut aussi comme roi de l’Arménie. Aschod Fût la tige de la dynastie des Bagratides, dont les souverains se succédèrent, au nombre de neuf, pendant un intervalle de près de deux cents ans (885-1079)[1].

Mais cette royauté restaurée ne fut plus que l’ombre de ce qu’elle avait été dans les temps anciens, sous les premiers Arsacides, lorsque le territoire arménien égalait en étendue celui de la France actuelle. L’autorité des Bagratides était restreinte à une portion de ce territoire, circonscrite dans la province d’Ararad. Tout en n’occupant le trône que sous le bon plaisir des khalifes et la haute surveillance des agens de la cour de Bagdad, et avec l’obligation de percevoir, sous leur propre responsabilité, le tribut imposé par les Arabes, ils surent néanmoins donner quelques années de paix et de tranquillité à leur pays et le rendre florissant. Leur capitale, Ani, située sur les bords du fleuve Akhourian, l’Arpa-Tchaï actuel, dans le district de Schirag, a laissé des ruines qui attestent l’étendue de cette ville et son antique splendeur.

Cependant les empereurs n’avaient point renoncé à leurs prétentions sur l’Arménie. Ani, que sa forte position et ses solides remparts rendaient inexpugnable, était surtout l’objet de leur convoitise. Constantin Monomaque, désespérant de s’en emparer par la force ouverte, résolut de mettre en jeu les artifices habituels de la politique byzantine et d’attirer près de lui par des démonstrations d’amitié Kakig II, qui régnait alors sur l’Arménie. Comme celui-ci, se défiant des Grecs, hésitait à venir, l’empereur lui envoya un fragment de la vraie croix, sur lequel il avait fait les sermens les plus solennels. Les grands et le patriarche d’Arménie, soudoyés par Monomaque, joignirent leurs instances aux siennes, et pour déterminer le roi à partir, trempant, raconte un historien, leur plume dans le calice de la communion, ils signèrent avec le sang sacré du Christ l’engagement de défendre le royaume et de le conserver à leur maître

  1. De la branche des Bagratides, qui régna en Géorgie et en Abkhazie à partir du Xe siècle de notre ère, descend la famille Bagration, en Russie. Déjà au temps de Valarsace, premier souverain de la dynastie des Arsacides d’Arménie, lequel monta sur le trône en 117 avant Jésus-Christ, les Bagratides formaient une des satrapies les plus considérables de ce pays. Moyse de Khoren, historien du Ve siècle, qui a consigné et discuté dans son livre les origines de ces satrapies, nous apprend que celle des Bagratides remontait, par une filiation certaine, havasdi, jusqu’à Schampat, l’un des captifs que Nabuchodonosor le Grand emmena de Jérusalem lorsqu’il prit et saccagea cette ville. Schampat, rendu à la liberté par la bienveillante intervention de Hratchia, roi d’Arménie, fut magnifiquement traité par ce prince et s’établit auprès de lui. La famille Bagration peut être regardée aujourd’hui comme une des plus anciennes de l’Europe parmi celles dont la descendance est historiquement prouvée.