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disciplinaire, et revendiquent pour leur catholicos l’indépendance que les héritiers de saint Grégoire l’Illuminateur ont toujours affectée depuis que vers la fin du IVe siècle ils ont cessé d’aller demander l’investiture de leur dignité à l’évêque de Césarée. Cette question n’est pas simplement religieuse, elle s’est compliquée des susceptibilités d’un patriotisme jaloux de tout ce qui peut sembler porter atteinte à la nationalité. Pour les Arméniens dispersés aujourd’hui en tous lieux, le dernier lien qui maintient encore cette nationalité est leur religion. La quitter pour embrasser le catholicisme est dans leur opinion se dénationaliser, devenir frank, comme ils le disent dans une intention répulsive. Le culte de la Vierge et des saints leur est cher; ils aiment la pompe dans les cérémonies religieuses, la magnificence dans la décoration de leurs églises, les pratiques extérieures de piété, les pèlerinages aux saints lieux. Un grand nombre d’entre eux joignent à leur nom le titre de mahdessi, indiquant qu’ils ont fait le voyage de Jérusalem, par un usage analogue à celui des musulmans qui se décorent du titre de hadji (pèlerin), après être allés visiter le tombeau de leur prophète. Leurs jeûnes sont très multipliés, puisqu’ils ont quatre carêmes dans l’année; les prescriptions qui recommandent l’abstinence sont très sévères, et ils les observent avec une rigueur absolue, même en voyage ou en cas de maladie. Ces instincts de dévotion, si différens de l’esprit et des doctrines du protestantisme, s’opposent à ce qu’il compte jamais un grand nombre de prosélytes parmi eux. On peut évaluer à 2,000 ou 3,000 le chiffre de ceux qui se sont laissé gagner par les prédications des missionnaires anglais ou américains à Smyrne, à Constantinople, à Erzeroum et à Djoulfa.

Le gouvernement ecclésiastique de la nation arménienne est sous la direction d’un chef suprême, qui porte, comme nous le savons déjà, depuis le IVe siècle, le titre de catholicos ou patriarche universel. De lui relèvent deux patriarcats diocésains, — Constantinople (érigé en 1461), et Jérusalem (1311). Sur l’échelle hiérarchique viennent ensuite se placer les archevêques, les évêques et les desservans ou derders. Avant d’entrer dans les ordres sacrés, les derders sont dans l’obligation de contracter mariage. Il en résulte que, dans les provinces d’Arménie, où les populations sont pauvres, ces prêtres, ayant une famille souvent nombreuse à soutenir, et ne trouvant pas dans leur profession une rémunération suffisante, sont forcés d’y suppléer par une industrie manuelle, par les travaux des champs et l’élève des bestiaux. Privés de loisir pour étudier, ils sont condamnés à négliger toute culture intellectuelle. Une autre cause les retient dans cet état d’ignorance, en brisant en eux tout ressort d’émulation; c’est l’obstacle qui les empêche de franchir les degrés inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique. Cet obstacle est le mariage, interdit aux