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si fangeux et si peu praticable, que l’herbe en était tout à fait perdue, et il y reste encore, notamment dans les communaux d’Ecrammeville, de vastes espaces à dessécher. Le premier besoin de la vallée est d’être mise à l’abri des invasions de l’Aure supérieure, qui, dans ses crues d’automne et de printemps, l’inonde tout entière. Les pertes annuelles causées par ce fléau sont évaluées à 200,000 francs; elles cesseront le jour où le canal que M. de Marguerye proposait dans l’intérêt de la marine fera dériver l’Aure sur Port-en-Bessin, Le creusement de ce canal a été une fois adjugé au prix de 350,000 francs, la dépense en aurait été couverte par le profit agricole de deux années; mais c’était en 1792, et citer cette date, c’est dire que les travaux ne furent pas même entamés. La canalisation de 17 kilomètres de l’Aure inférieure jusqu’à Trévières compléterait les conditions générales de l’amélioration de la vallée, et celle-ci paierait largement l’intérêt des capitaux qui lui seraient ainsi confiés. Le revenu des marais de l’Aure est aujourd’hui de 500,000 francs; il doublerait par les améliorations qui pourraient suivre le concours de ces deux opérations. Les pâturages de l’Aure inférieure et de la basse Vire alimentent, de temps immémorial, un commerce de beurre dont Isigny est le centre. Ce commerce a décuplé depuis que Vauban en portait la valeur à 50,000 écus, et le débouché s’en élargit aujourd’hui par les communications rapides que la navigation à vapeur entretient entre les Vays, Le Havre et l’Angleterre.

Les marais du bassin de la Vire n’ont été soustraits que pendant un petit nombre d’années à l’action naturelle des marées; aussi sont-ils les plus raffermis et les moins insalubres de la contrée. Une rectification du lit de la Vire, qui devrait être depuis longtemps faite dans l’intérêt de la navigation, est la seule amélioration que l’agriculture y soit en droit de réclamer de l’état.

Vauban inspecta en 1694 les fortifications de Carentan. Les marais de la Taute et de la Douve étaient alors abandonnés aux inondations; ou en passait quelques branches sur des chaussées à peine assez larges pour un seul chariot, et la grande communication consistait en grosses pierres espacées de pas en pas, qui s’élevaient hors de l’eau pour les piétons. On ne voyait à Carentan que visages terreux et ventres ballonnés; la fièvre locale, qui s’appelle encore le horion, emportait souvent les malades en vingt-quatre heures. « De raison de cet état de choses, je crois, écrivait Vauban de Honfleur le 30 novembre 1694, qu’il n’y en a point d’autre que la nonchalance des gens du pays et le mauvais ordre. » D’autres soins paraissent l’avoir empêché de chercher des remèdes à un mal qui était profond, car cent soixante années de travaux, il est vrai souvent interrompus, ne l’ont point guéri. Enveloppé dans des brouillards fétides,