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malsaine où elle est emprisonnée sur l’esplanade comprise entre l’église et le bassin à flot. L’église, construite par Guillaume de Cerisay, secrétaire des finances de Louis XI et l’un de ses confidens, est un des plus charmans édifices gothiques de la Normandie. Ne fait pas qui veut un pareil présent à sa ville natale, et il est entendu que ce ne fut point avant d’entrer au ministère que Cerisay érigea ce monument de ses économies et de sa dévotion. Le bassin à flot est une création de l’empire : c’est un parallélogramme de 1,400 mètres de long sur 80 de large, entouré de belles allées; le nivellement des 600,000 mètres cubes de terre qui en ont été tirés a préparé pour la nouvelle ville un emplacement sec et salubre. Le passage du chemin de fer de Cherbourg, le confluent des canaux de la Vire, de la Taute et de la Douve dans le port, compléteront un ensemble d’une rare beauté, et pour peu que nos contemporains tirent parti de ces avantages, l’avenir de Carentan formera un heureux contraste avec son passé.

Tels qu’ils sont, et sans supposer la réalisation d’aucune des nombreuses améliorations auxquelles ils se prêtent, les marais des Vays donnent un immense produit en herbe; dans ceux de l’Aure, la rente est en moyenne de 200 francs par hectare, et dans le voisinage de Carentan un fermage de 250 à 300 francs n’a rien d’extraordinaire. L’intelligence agronomique est pour peu de chose dans ces résultats. La nature est si prodigue ici, que l’homme se croit dispensé de lui venir en aide. Les pâturages y transmettent au laitage et à la chair des animaux la propriété de se conserver très longtemps. Lorsque tous les arrivages étaient lents, cet avantage assurait sur le marché de Paris une préférence marquée aux provenances de cette partie de la Normandie : depuis que, grâce aux chemins de fer, les substances alimentaires ne vieillissent plus en route, cette supériorité est moins prisée, et il a fallu remplacer ici les débouchés qui se perdaient. Il s’en est heureusement ouvert en Angleterre de presque indéfinis. La valeur des denrées autres que les céréales et les boissons que reçoit de nous l’autre côté de la Manche n’était en 1847 que de 12,415,000 francs; en 1852, elle s’est élevée à 26,417,000 francs[1]. La part des ports de Carentan et d’Isigny dans ces exportations est devenue assez considérable pour déterminer l’établissement de services spéciaux de bateaux à vapeur. Les viandes du Cotentin obtiennent maintenant à Londres, en raison de leur salubre sapidité, un prix supérieur à celui des viandes graisseuses que fabrique l’agriculture anglaise. Si d’ailleurs le privilège de se conserver longtemps a perdu de son

  1. Tableaux du Commerce de la France, publiés par l’administration des douanes.