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prix pour les alimens destinés au marché de Paris, il le conservée tout entier quand il s’agit des approvisionnemens de la marine. Les viandes du sud-est de l’Irlande supportent sans s’altérer les plus longues traversées; aussi les ateliers de salaison de la marine britannique sont-ils à Cork. Des expériences conduites avec tiédeur et délaissées sans qu’on ait jamais dit pourquoi ont montré que les herbages du bassin des Vays rivalisaient par les qualités qu’ils communiquent au bétail avec les meilleurs de l’Irlande. En 1820, le beurre d’Isigny disputait l’approvisionnement des Antilles à ceux de l’Amérique, du Danemark, et même de Cork, et s’il ne résistait pas sept ou huit mois de suite, comme le dernier, à l’action de la mer et au climat des tropiques, cette infériorité paraissait tenir uniquement à celle de la préparation. A la même époque, on essayait à Isigny des fromages qui promettaient de valoir pour les voyages de long cours ceux de la Nord-Hollande. Les qualités inestimables du bétail du bassin des Vays pour le service de la marine, l’immensité de ses troupeaux, le contact de la mer, le voisinage de ports tels que Cherbourg, Le Havre, Rouen, Southampton, Portsmouth, Londres, tout se réunit pour appeler dans cette contrée l’industrie des salaisons et le centre des approvisionnemens de la flotte. En attendant une mesure si profitable au trésor et à la vigueur des équipages, l’administration des vivres de la marine, mue par des considérations dont l’équitable application devrait lui faire faire ses achats de vins en Normandie, a fixé ses ateliers de salaison à Bordeaux.

L’appui mutuel que se prêtent partout l’agriculture et la navigation n’est nulle part plus intime qu’au bord des Vays. Non-seulement la seconde n’attend ici de tonnage que du développement de la première, mais le dessèchement complet des marais, l’introduction de la navigation intérieure dans leur sein et l’extension même du terrain cultivé dépendent des améliorations qui seront apportées à l’état de l’atterrage.

La surface des grèves des Vays est d’environ 5,000 hectares, et l’encombrement de cette baie est produit par le raz de Barfleur. Le raz descend en effet jusque vis-à-vis La Hougue sur un fond qui fourmille de pétoncles et autres coquilles volumineuses et légères ; il les roule, les broie dans ses tourbillons, les malaxe avec des débris argileux et granitiques, et dépose ce riche loam, comme disent les Anglais, le long de la côte, et surtout dans les Vays. Une grande partie de ces dépôts consiste en tangue, non moins avantageuse pour l’amendement des terres que celle qui afflue dans la baie du Mont-Saint-Michel. Au travers des bancs ainsi formés remontent deux chenaux qui se dirigent l’un vers Isigny et l’embouchure de la Vire, l’autre vers Carentan.