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Le port d’Isigny est placé dans le lit de l’Aure, au-dessous des portes de flot contre lesquelles s’arrêtent les marées et tout près du Petit-Vay, où les eaux de l’Aure se confondent avec celles de la Vire : il a passé pour perdu pendant vingt ans, et, maintenant rouvert, son histoire récente offre de précieux enseignemens sur la manière dont se perdent et se rétablissent les atterrages.

En 1811, la route de Paris à Cherbourg franchissait le Petit-Vay sur un pont de bois submersible aux marées de vive-eau : Napoléon, y passant le 26 mai, ordonna de le remplacer par un pont en pierre dont la construction, retardée par les malheurs du temps, ne s’est terminée qu’en 1826. Ce pont, qui fait plus d’honneur aux maçons qui l’ont exécuté qu’aux ingénieurs qui l’ont conçu, est percé de cinq arches de 6 mètres d’ouverture chacune, et pour en assurer le maintien contre la violence des courans de marée qui remontent et descendent la Vire, on imagina de le fermer par des portes de flot. De ce moment, la mer cessa de remonter jusqu’aux Clés-de-Vire, à 28 kilomètres en arrière du pont; de ce moment aussi, le port d’Isigny, qui recevait auparavant des bâtimens de 2 à 300 tonneaux, commença à s’ensabler; il n’admettait plus en 1834 que des navires de 60 tonneaux, en 1839 que de 40. Tandis que le chenal de l’Aure s’obstruait, des effets analogues se produisaient dans la baie : en 1833, il existait encore derrière le poulier du Grouin, en aval d’Isigny, un mouillage où flottaient à basse mer les bâtimens gardes-côtes; en 1841, la place en était occupée par un banc de sable dont le sommet était à peine humecté par les marées des syzygies. M. Lejeune, un des ingénieurs du Vay, fut des premiers à signaler le danger. La Vire cependant abandonnait la côte d’Isigny pour se porter à l’ouest. — Ramenez, disaient les ingénieurs et les marins qui prenaient cet effet pour une cause, ramenez la Vire dans son ancien lit, et bientôt l’abaissement du seuil de l’embouchure de l’Aure fera recouvrer au port d’Isigny son ancienne profondeur. — M. Bouniceau, ingénieur des ponts et chaussées, fut le seul parmi les personnes consultées à ne pas s’abuser sur le peu d’effet qu’on pouvait attendre de la Vire réduite à ses propres forces : il démontra, par une série d’observations irréfutables, que le mal venait de la clôture du Petit-Vay. Avant qu’elle eût lieu, le lit de la Vire recevait, en amont du pont, 250,000 mètres cubes d’eau par marée; cette masse fluide passait ou repassait quatre fois en vingt-quatre heures sur la grève des Vays, la sillonnait, et creusait surtout le chenal sur lequel débouche le port d’Isigny. La suppression de cette oscillation puissante et le demi-calme qu’y substituait la clôture des portes de flot déterminaient les dépôts qui s’accumulaient si rapidement. M. Bouniceau a fait enlever les portes de flot, et l’effet a cessé avec la cause : les