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justesse et pureté, de la parole écrite que dans ces mouvemens d’inspiration soudaine, dans ces répliques inattendues qui excluent toute étude et toute préparation. Aussi n’a-t-il rien perdu dans ces longues années passées à la tribune. Ceux qui parlent beaucoup, lors même qu’ils parlent bien, désapprennent souvent à écrire : quant à lui, son style, on peut le dire, s’est comme fortifié de la puissance de sa parole, et dans ses deux nouveaux volumes, en regardant de près au langage, on trouve un évident progrès. Les deux autres pourtant peuvent, à bon droit, passer déjà pour des modèles. C’est le vrai style de l’histoire, simple, nerveux, sobre sans sécheresse, coloré sans vain luxe d’images, toujours lucide et animé d’une vie intérieure qui se contient et jamais ne s’égare.

On comprend que l’auteur d’une telle œuvre eût à cœur de la terminer. Il n’avait pu s’en séparer qu’à regret, et nous gagerions bien que sous le faix du pouvoir, pendant ces nobles luttes si vaillamment soutenues, lorsqu’il usait ses forces et sa vie à retenir sur l’abîme un pays qui s’y laissait glisser, son cœur dut saigner bien des fois d’avoir interrompu de si calmes études, et laissé comme à l’abandon ce monument déjà si grand, bien qu’à peine sorti de terre. Achever son histoire devait être son rêve : d’abord par souvenir de son succès, parce que ce livre avait marqué dans sa vie littéraire une phase heureuse et nouvelle, parce que les soins qu’il s’était donnés pour en faire son chef-d’œuvre le lui rendaient d’autant plus cher, puis avant tout parce qu’en lui-même le sujet avait sa prédilection.

L’Angleterre, à tous les siècles, et particulièrement au XVIIe, était depuis longtemps, comme on sait, l’étude de son choix. Sans renoncer à bien d’autres recherches, une pente naturelle l’avait toujours porté de ce côté, et une partie de sa vie s’était passée, pour ainsi dire, à mûrir son projet, à rassembler ses matériaux. Déjà même, il les avait en partie mis au jour. Avant d’écrire l’Histoire de la Révolution d’Angleterre, il en avait donné les pièces justificatives. Les principaux mémoires originaux relatifs à ce grand événement, réunis par lui en collection et traduits sous ses yeux, avaient paru avant 1826. Il y avait joint des notices, des essais de biographie sur les auteurs des mémoires, presque tous plus ou moins mêlés dans les scènes qu’ils racontent. Le récit de leur vie était déjà l’histoire de la révolution, non telle que la méditait M. Guizot, mais intime et anecdotique. Rien, dans cette galerie de portraits, n’était fait de fantaisie : le peintre avait tout vu, tout pris d’après nature, les personnes comme les costumes. Il parlait de Ludlow, de Mollis, de Fairfax, de Lilburne, en homme qui a vécu de leur temps, qui tous les jours les voit agir et les entend parler, qui connait leurs pensées, leurs passions, leurs affaires, aussi bien, peut-être mieux qu’eux-mêmes. De tels liens sont longs à se former, plus longs encore à se rompre.