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d’un parti, voté la mort de lord Strafford. Ce grand procès, raconté d’un style aussi mâle que le courage et les paroles de l’accusé, se grave dans l’esprit en traits ineffaçables. L’histoire, quand elle s’élève à ces hauteurs, n’est plus seulement une œuvre d’art, elle enseigne le devoir, elle est une sainte leçon.

Il s’en faut donc, en voilà bien des preuves, il s’en faut que pour l’historien la république et le protectorat soient un sol sans richesses : on voit que de sujets s’offrent à ses pinceaux! et nous n’avons encore rien dit, ou presque rien, du plus grand, du premier de tous : nous avons, en passant, prononcé le nom de Cromwell, à peine en avons-nous parlé. Il est vrai que M. Guizot lui-même en use ainsi ou à peu près. Cromwell est l’âme de son livre; c’est lui qui en remplit chaque page ; on le rencontre, on le voit partout, mais nulle part M. Guizot ne s’arrête et ne prend à l’écart son lecteur pour lui décrire en tous sens et sous toutes ses faces la figure de son héros. Le portrait, en histoire, est une invention de ces temps presque voisins de la décadence, où l’esprit commence à raffiner, où l’écrivain ne se résigne plus à faire tout simplement marcher, parler, agir ses personnages, à les abandonner à eux-mêmes, à nous les laisser voir sans se glisser entre eux et nous, sans se mettre de la partie, sans avoir le besoin de jouer lui-même un rôle et de tout expliquer. L’histoire, la véritable histoire, n’est pas la biographie; les Thucydides ne sont pas des Plutarques. Dans la biographie; le portrait est à sa place, il est de droit. L’auteur n’a qu’un but, son modèle : le personnage est tout, il est au centre; les faits ne sont quelque chose que s’ils ont rapport à lui; on les raconte à cause de lui; s’ils lui deviennent étrangers on les supprime ou tout au moins on les abrège, sauf ensuite à rapprocher, à souder, comme on peut, ceux qui lui appartiennent, et ceux-là même, il faut les mettre en ordre, les disposer, les diriger comme des rayons vers un centre commun. C’est de la vérité traduite par un miroir concave : toutes les lignes, en convergeant, se courbent et se faussent un peu. Telle n’est pas l’histoire dans sa native pureté; son miroir est aussi plane que limpide; les choses s’y voient à leur place, dans leurs justes rapports, dans leurs vraies proportions; les grands hommes y sont grands parce qu’ils le sont, non par effet d’optique; on ne déplace rien autour d’eux, on ne met rien sous leurs pieds, et leur panégyrique, personne ne s’en charge, ce sont eux-mêmes qui le font en parlant, en agissant grandement, plus grandement que tout le monde. Cette façon de laisser l’histoire se dérouler d’elle-même sans que l’historien apparaisse, c’est le procédé constant et naturel des plus grands parmi nos maîtres de l’antiquité; si tant d’autres signes ne nous faisaient pas voir que les huit livres de la guerre du Péloponèse ont dû