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Le Comte.

Je n’ai pas prétendu vous offenser, monsieur ; êtes-vous le propriétaire de ce petit château ?

François.

Propriétaire !… Non, monsieur, je ne suis pas propriétaire ; je suis domestique… Je suis domestique, pour vous servir, — c’est-à-dire pourvu que cela ne me gêne pas trop, car je suis d’un âge à ne me gêner pour personne, monsieur, hormis pour ma maîtresse.

Le Comte.

C’est trop juste, mon ami. Et votre maîtresse est probablement la dame voilée qui vient d’entrer dans cette maison. J’aurais désiré lui présenter mes excuses ; je crains de l’avoir effrayée. Le hasard me l’a fait rencontrer, à la nuit tombante, dans la forêt voisine, — la forêt de Brocelyande, je crois, — Près de cette fameuse fontaine des Fées… de Merlin… je ne sais comment on l’appelle…

François, se déridant.

La fontaine de Merlin… de l’enchanteur Merlin… Mauvais endroit pour les rencontres, jeune homme. Eh ! eh ! (Il rit en vieillard.)

Le Comte, à part.

Singulier vieillard ! (Haut.) La supposant égarée, j’ai voulu lui offrir mes services…

François.

Ah ! ah ! jeune homme !… Eh ! Seigneur !

Le Comte.

Elle a eu peur, je suppose, et ce malentendu nous a conduits jusqu’ici, elle se sauvant, moi la poursuivant… Pensez-vous qu’elle consente à recevoir mes explications ?

François, très gracieux.

Je le pense, jeune homme ; je m’en flatte. Eh ! eh ! (Il rit en le regardant d’un air d’intelligence et se dirige à droite vers la porte latérale.)

Le Comte, à part.

Ce vieillard se moque-t-il de moi ? Voyons donc. (Haut.) Dites-moi, mon ami, comment s’appelle votre maîtresse ?

François.

Elle s’appelle mademoiselle Aurore de Kerdic, bien qu’on la nomme plus souvent dans le pays la Fée de Brocelyande.

Le Comte.

La fée !… (À part.) Voilà qui est bizarre ! (Haut.) La fée,… dis-tu ?… Et elle est jolie, j’imagine, en cette qualité ?

François.

Oh ! charmante, monsieur, — du moins à mes yeux.

Le Comte.

Elle est jeune, n’est-ce pas ?