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Le Comte.

Je ne sais véritablement, mademoiselle, comment vous remercier d’un accueil si obligeant et si peu mérité.

Mademoiselle de Kerdic.

Ne m’en remerciez donc pas, d’autant plus qu’il entre, je vous l’avoue, un grain de curiosité dans ma politesse… Eh bien ! François, est-ce que tu dors, mon ami ?

François se lève d’un air soucieux ; il va prendre, en grondant, des assiettes et des verres dans le buffet.

Eh ! Seigneur,… il est triste, à mon âge, de ne pouvoir goûter une minute de repos… (Le comte dépose dans un coin son chapeau, sa canne et son paletot, comme un homme qui s’installe… François, appuyé des deux mains sur la table, poursuit :) Il faut convenir que les riches sont heureux !

Mademoiselle de Kerdic.

Que veux-tu dire, voyons ? Explique-toi.

François.

Mademoiselle oublie que je ne suis pas, comme elle, au printemps de la vie ; il ne faut pas exiger d’un octogénaire la force d’un porte-faix et la vivacité d’un page.

Mademoiselle de Kerdic.

Tu as raison, va. Laisse-moi finir ta besogne ici, et va-t’en voir si tout est prêt en bas. Va doucement, surtout.

François.

Oui, mademoiselle. Soyez tranquille. (Près de sortir, il se retourne et ajoute :) Soyez sages, jeunes gens ! (Il sort.)



Scène III.

MADEMOISELLE DE KERDIC, LE COMTE.
(Ils rient tous deux.)
Mademoiselle de Kerdic.

Je suis une heureuse vieille, comme vous voyez, monsieur de Comminges : j’ai certainement sous les yeux un miroir qui s’obstine à me rendre mes quinze ans… Mais, voyons, quitte à choquer la délicatesse de vos mœurs, il faut, si nous voulons dîner, que j’achève de mettre ce couvert moi-même… (Elle va au buffet.)

Le Comte.

Mademoiselle, daignez au moins agréer mes services.

Mademoiselle de Kerdic, gaiement.

Volontiers… eh bien ! portez ça. (Elle lui donne des assiettes, des cristaux, etc.)

Le Comte, allant et venant du buffet à la table, gaiment.

Mais, par Dieu, à quoi vous sert ce vieux domestique-là ?

Mademoiselle de Kerdic.

Vous voyez bien qu’il ne me sert pas.