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et si la vie alors vous semble vide et sans saveur, rejetez, comme un reproche, vers le ciel, votre coupe brisée,… je vous le permets… Pardon encore, monsieur… (Sa voix s’éteint de plus en plus.) Mais je vous parle, n’en doutez pas, comme vous eût parlé celle que vous regrettez, si vous aviez pu consoler son dernier regard… et recevoir son dernier baiser !…

Le Comte, la tête penchée, d’une voix sourde et troublée.

Oui,… je crois,… il est possible que j’aie mal pris la vie ;… mais il est trop tard,… le mal est trop invétéré,… merci,… mais adieu…

Mademoiselle de Kerdic, avec une sorte de gaieté fébrile.

Soit ;… mais du moins rendez-moi encore un service, monsieur de Comminges.

Le Comte.

De grand cœur, mademoiselle.

Mademoiselle de Kerdic.

Tenez-moi ma laine,… voulez-vous ? (Le comte fait un geste poli ; elle lui passe son écheveau autour des mains, et s’assoit ; le comte s’assoit à moitié sur le bord d’un fauteuil ; pendant qu’elle dévide sa laine, on entend au dehors dans la campagne l’air d’une ballade)

Le Comte.

Est-ce que c’est un air breton, ceci ?

Mademoiselle de Kerdic.

Oui, c’est l’air de la ballade de Roger Beaumanoir.

Le Comte.

C’est joli. Cela me rappelle un chant de l’Auvergne ;… y a-t-il des paroles sur cet air-là ?

Mademoiselle de Kerdic.

Oui ; il est même question de fées dedans, vous qui les aimez.

Le Comte.

Vous seriez bien aimable de me les dire.

Mademoiselle de Kerdic.

Ce serait donc pour achever de vous endormir, car vous sommeillez à moitié.

Le Comte.

Non pas, je vous jure,… c’est un peu de fatigue seulement.

Mademoiselle de Kerdic.

Si fait,… et remarquez en passant qu’une seule soirée consacrée à la complaisance et à la charité vous a déjà rendu l’appétit et le sommeil, en attendant mieux… laissez-vous faire, allez… cela vous détendra… voyons… je vais vous aider.