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pas se décider. Sait-on une de ses préoccupations ? C’est de savoir si les intérêts danubiens sont un intérêt allemand. Il faudrait pourtant prendre garde de ne pas placer cet intérêt allemand dans des choses entièrement idéales. Que pourrait-il résulter d’hésitations trop obstinées du roi Frédéric-Guillaume ? C’est que l’Autriche rallierait infailliblement les autres états de l’Allemagne, et alors la Prusse aurait cessé non-seulement d’être une grande puissance européenne, mais encore d’être au premier rang en Allemagne. L’intérêt allemand ! il ne consiste pas dans telle ou telle question secondaire aujourd’hui ; il est tout entier dans la question supérieure de savoir si l’indépendance de l’Allemagne, aussi bien que celle de l’Europe, est en sûreté en présence d’une puissance formidable, maîtresse de l’Orient et assise du nord au sud sur la mer Baltique et sur la Méditerranée. L’intérêt allemand ! on peut le voir sous un autre aspect. On n’a qu’à observer les luttes actuelles de cette portion centrale de l’Europe, les mille liens dans lesquels le gouvernement de Saint-Pétersbourg enlaçait déjà certains états, les racines profondes jetées par l’influence russe. Partout il y a une politique russe à côté de la politique nationale. Que ce travail se fût poursuivi pendant quelques années encore dans l’ombre, et par une sorte de lente assimilation il s’établissait une haute suzeraineté du tsar. La crise actuelle est venue révéler à l’Allemagne son véritable intérêt par les efforts qu’elle est obligée de faire pour réagir contre l’ascendant menaçant de la Russie.

C’est là ce qu’on pourrait appeler la partie européenne des complications qui pèsent aujourd’hui sur le monde. Par malheur, ces complications, déjà suffisamment périlleuses en Europe par les intérêts qu’elles mettent enjeu, trouvent un élément de gravité de plus en Orient dans les insurrections qui ont éclaté parmi les populations chrétiennes de l’empire ottoman. Ces insurrections, il est vrai, semblent arrivées à un point où elles ne peuvent que décroître, parce qu’elles ne pouvaient pas réussir, parce qu’il ne suffit pas d’un sentiment généreux ; il faut encore que ce sentiment ne se mette pas en contradiction avec des intérêts généraux plus puissans. Mais d’un autre côté ces mouvemens populaires ont fait naître pour le gouvernement limitrophe de la Grèce une question de complicité et de responsabilité. On ne saurait nier que le gouvernement hellénique s’est trouvé dans une situation critique et délicate ; peut-être n’avait-il à choisir qu’entre une révolution intérieure, qu’il eût provoquée en cherchant à comprimer un mouvement national, et le risque d’appeler sur lui la sévérité de l’Europe, en favorisant les insurrections. Il s’est prémuni contre le danger le plus immédiat, celui d’une révolution. Les illusions sont venues s’y joindre, et ce qu’on raconte du roi Othon aussi bien que de la reine donne certes une idée singulière de la vivacité enfantine de ces illusions. On comptait déjà les étapes qui conduisaient à Byzance, et on n’a fait qu’aller au-devant d’une difficulté des plus graves et des plus périlleuses avec la Turquie. La Sublime-Porte en effet, par l’organe de son ministre à Athènes, a fait demander au gouvernement grec des explications sur des actes qui dénotaient une connivence réelle, en réclamant de lui des mesures efficaces, soit contre les excitations de la presse, soit contre toute tentative de nature à favoriser l’insurrection. Les réponses du gouvernement hellénique ont été assez évasives, et il s’en est suivi que Nechet-Bey,