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son maintien au pouvoir eût sans nul doute incliné la politique du Danemark vers la Russie.

L’Espagne n’a point les mêmes crises en ce moment, mais elle vient de voir se produire deux faits qui, à divers points de vue, caractérisent sa situation et affectent ses intérêts politiques. Le premier de ces faits, le moins grave peut-être en lui-même, c’est une tentative d’émeute à Barcelone. Le mouvement a pris dès l’origine un caractère industriel. Un certain nombre d’ouvriers ont refusé de travailler, élevant des questions de salaire. L’agitation s’est prolongée plusieurs jours, et est devenue assez sérieuse pour que la force ait été employée. Il ne paraît pas qu’après cette première répression l’agitation ait recommencé. Ce mouvement, tout industriel en apparence, avait pourtant, dit-on, une couleur carliste, et les autorités de Barcelone ont dissous une société qui paraissait en avoir été l’instigatrice. Par une bizarrerie, cette société, bien nommée, s’appelait l’École de la Vertu. Le second fait qui a eu un moment une certaine gravité pour l’Espagne ne s’est point produit en Europe ; c’est à Cuba qu’il a eu lieu, et il a été l’occasion d’une recrudescence nouvelle des passions qui fermentent toujours aux États-Unis au sujet de la possession espagnole. Quelque simples que soient les circonstances, ces passions sont malheureusement toujours prêtes à les envenimer pour mettre en lutte les deux pays. Il ne s’agissait pas pourtant d’abord d’un fait extraordinaire. Un navire marchand américain, le Black-Warrior, abordait il y a peu de temps à Cuba ; le manifeste qu’il présentait n’étant point régulier, on l’engageait à le régulariser. C’est à quoi se refusait le capitaine du Black-Warrior, et par suite de la résistance qu’il opposait, le capitaine-général de Cuba faisait mettre l’embargo sur le navire. Mais ici commence la véritable gravité de cet incident. À peine ce fait était-il connu aux États-Unis, sans autre information, toutes les colères se soulevaient. Une fois encore on proposait d’envahir Cuba, et ce qu’il y a de plus sérieux, c’est que le gouvernement lui-même se laissait aller à ces entraînemens ; le président, M. Franklin Pierce, adressait à la chambre des représentans un message où il qualifiait avec la plus étrange sévérité les autorités espagnoles, et où il semblait aller au-devant d’une rupture. Le message du président n’a été heureusement suivi d’aucune résolution effective ; la réflexion a pu venir, et il est probable qu’aujourd’hui cette affaire est entrée dans la voie des négociations entre les deux gouvernemens, d’autant plus que le capitaine-général de Cuba a relâché le Black-Warrior moyennant une amende de 6,000 piastres. Cependant, bien que calmée, l’irritation permanente n’en subsiste pas moins aux États-Unis, et le moindre incident peut la réveiller. Dans les circonstances présentes, il est facile de pressentir ce qu’aurait pu avoir de sérieux une rupture entre les États-Unis et l’Espagne, au moment où toutes les forces navales de l’Europe sont engagées dans d’autres conflits. Ce serait d’ailleurs, de la part du peuple américain, donner une idée singulière de lui-même que de choisir un tel moment pour assouvir son ambition au mépris du droit et des plus simples règles de la justice internationale. ch. de mazade.