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étoit en sa puissance de faire venir des armées anglaises en France quand elle voudroit; qu’on ne la connoissoit pas; qu’on pensoit qu’elle n’avoit l’esprit qu’à des coquetteries; qu’elle feroit bien voir avec le temps qu’elle étoit bonne à autre chose; qu’il n’y avoit rien qu’elle ne fît pour se venger, et qu’elle s’abandonneroit plutôt à un soldat des gardes qu’elle ne tirât raison de ses ennemis. »

« Telles étaient les dispositions avec lesquelles Mme de Chevreuse vint à Nancy, vers la fin de l’automne de 1622, demander asile à son parent le duc de Lorraine. Mieux qu’un soldat des gardes, Charles pouvait utilement aider aux vengeances de sa belle cousine; l’accueil qu’il lui fit montra qu’il y était tout disposé, et qu’il n’avait point oublié l’heureuse intimité de leur première jeunesse. La duchesse de Chevreuse fut traitée en Lorraine moins en fugitive qu’en souveraine. Charmé de retenir près de lui la brillante personne qui avait fait les plus beaux jours de la cour de France, Charles IV s’épuisa en protestations chaleureuses, en soins empressés, en une foule d’attentions délicates. Il n’épargna surtout point les fêtes et tous les divertissemens qui pouvaient adoucir à Mme de Chevreuse l’ennui de l’exil, et chasser de son esprit la tristesse qu’y avait laissée la fin tragique de son dernier amant. Il lui offrit tour à tour, dans la Carrière de Nancy et dans l’intérieur du palais ducal, le spectacle de plusieurs joutes d’armes, courses de bagues et autres exercices du même genre. Ces sortes de jeux chevaleresques n’étaient pas alors entièrement passés de mode en France; ils étaient restés fort en vogue partout ailleurs, et la noblesse lorraine y excellait. Charles se mêla lui-même aux jouteurs, remporta le prix de l’épée, et fit hommage à Mme de Chevreuse des prix gagnés par son adresse. Tant de galanterie fit tout d’abord soupçonner que le jeune duc de Lorraine n’aspirait pas seulement à bannir, mais aussi à remplacer le souvenir de Chalais dans le cœur de son ancienne maîtresse. Ses sujets ne doutèrent pas qu’il n’y eût promptement réussi : cela est assez probable, car la place ne pouvait demeurer longtemps inoccupée. En s’attachant à M. de Lorraine, Mme de Chevreuse se donnait, une fois de plus dans sa vie, le plaisir de mettre ensemble et du même côté son affection et ses haines, l’intérêt de son orgueil et tout l’entrain de la passion. »

Usant à la fois de son influence sur Buckingham et sur Charles IV, la duchesse de Chevreuse décida bientôt d’une part son ancien amant à provoquer une coalition européenne contre Richelieu, de l’autre le duc Charles à profiter du secours promis par l’Angleterre pour entrer en lutte contre la France. Arrêté au début même de sa téméraire entreprise par le triomphe de Richelieu à La Rochelle, le prince lorrain n’abandonna toutefois que momentanément des projets qui devaient être si funestes à son pays. Mme de Chevreuse était retournée à Dampierre, où la reléguait la politique du cardinal; mais son influence persistait à la cour de Lorraine. Toute la fin du règne de Charles IV nous le montre agissant contre la France, provoquant un dernier conflit où l’indépendance de la Lorraine reçoit un irréparable échec, se démettant enfin de ses états et laissant à la duchesse Nicole le triste soin d’apaiser la colère du vainqueur. Le récit de ce voyage de la noble suppliante à Fontainebleau termine le volume; mais l’historien n’est pas au bout de sa tâche, et il lui reste à suivre les démêlés de la Lorraine avec la France dans la période qui