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investigations d’un Schiller, d’un Morhof, d’un Eckardt, ont conservé plus de valeur que ces médiocres essais. Si c’est à l’historien de faire oublier l’érudit et de donner son nom au monument qu’ils ont élevé ensemble, les érudits allemands du XVIIe siècle n’ont rien à craindre de cette rivalité.

La glorieuse période ouverte par Lessing et Klopstock sera-t-elle plus féconde ? Le moyen âge germanique n’a produit que des chroniqueurs, vulgaires : le XVIe et le XVIIe siècle ont été le triomphe des érudits. Puisque l’heure est venue où les lettres allemandes se régénèrent, l’histoire ne profitera-t-elle pas du nouvel élan imprimé aux esprits ? C’est ici qu’il faut appliquer les fortes paroles de la Dramaturgie de Hambourg : « L’Allemagne veut un théâtre national, et elle n’est pas une nation ! » L’Allemagne veut un historien, pourrait-on dire avec Lessing, elle veut raconter la vie publique de ses peuples, et ce qui lui manque le plus, c’est précisément le sentiment de cette vie publique. Ses écrivains connaissent admirablement le monde des livres, ils ignorent le théâtre où luttent les intérêts et les passions des hommes. Ils compulsent les chartes, ils confrontent les documens dans le silence de leurs cabinets ; jamais, comme l’historien antique, comme le chroniqueur italien ou français du moyen âge, ils n’ont été mêlés aux événemens qu’ils racontent, jamais Ils n’ont ressenti ces grandes émotions nationales qui sont les vraies muses d’Hérodote. D’où leur viendrait la flamme secrète qui doit illuminer leurs tableaux ? Pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, l’histoire change de forme et d’allures sans se débarrasser des défauts qui entravaient sa marche. Marquée du sceau de l’époque, elle a des haines étroites et des sympathies ridicules. Les plus fermes esprits n’échappent pas à cette influence de l’Angleterre et de la France, et trop souvent, par exemple, des savans comme Meiners ou des publicistes comme Schloezer ne vous offriront qu’une misérable parodie du genre humain. Nul sentiment de la vie progressive des peuples, nul soupçon des différences de races et des originalités nationales, nul vestige en un mot de l’inspiration lumineuse et profonde qui fait revivre à nos yeux les siècles évanouis.

Enfin paraît un homme, un cœur inspiré, un promoteur généreux comme Lessing et Klopstock, qui va décréditer à jamais la sèche et stérile histoire du XVIIIe siècle. C’était le sympathique amour de l’humanité qui manquait aux laborieux historiens de l’Allemagne ; Herder donnera cette vertu féconde aux générations qui se lèvent Sur bien des points, je le sais, Herder appartient encore à la période que domine le nom de Voltaire : comment nier cependant qu’il ait fait une révolution dans l’histoire ? Le premier d’entre les modernes, il déroule sous les regards de Dieu et au sein d’une opulente nature la vie séculaire du genre humain. Chaque nation grandit, puis disparait